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du pays, bien que vifs et alertes, sont incapables de fournir une course rapide au-delà de 300 mètres. Le Mexicain des hauts plateaux, loin d’être d’un caractère turbulent, comme le feraient supposer les nombreuses guerres civiles, aime le calme et le repos ; c’est l’indifférence et l’apathie générales qui permettent à un petit nombre d’ambitieux de bouleverser à chaque instant le pays. L’indigène des niveaux inférieurs, comparé à celui des hauteurs, est plus actif, plus résolu ; son geste est plus vif, ses passions sont plus violentes. La statistique prouve que les progrès de la population du Mexique sont beaucoup moins sensibles au-delà de 2,000 mètres que parmi les hommes établis au-dessous de cette limite. De 1801 à 1857, l’accroissement annuel de la population des hauts plateaux ne dépasse guère 3 pour 1,000, tandis qu’il est de 6 ou 7 pour 1,000 dans la région comprise entre les plateaux et la mer. La léthargie proverbiale et l’abâtardissement de la race péruvienne sont probablement dus en grande partie à l’action lente des hautes altitudes, et la décadence manifeste des populations tibétaines n’a peut-être pas d’autre cause. En somme, il paraît certain que, dans les pays où le froid ne serait pas par lui-même un obstacle à la vie, la raréfaction de l’air empêcherait la fondation de sociétés durables vers un niveau que l’on peut placer un peu au-dessus de 4,000 mètres. Dans la zone comprise entre 2,000 et 4,000 mètres, la vie, quoique déjà atteinte dans la plénitude de sa puissance, peut encore se développer à divers degrés de vigueur ; mais, à mesure qu’on approche de la limite supérieure, la faculté de vivre est réduite, et la possibilité de fournir un travail matériel utile dans des conditions de durée et de régularité acceptables devient de plus en plus précaire pour l’homme.

La cause de la faiblesse physique des habitans des hautes altitudes doit être cherchée, nous l’avons vu, dans l’oxygénation insuffisante du sang au sein d’un air raréfié. M. Jourdanet a d’ailleurs fréquemment constaté au Mexique d’autres formes d’anémie, et notamment une diminution notable de la masse totale du sang. Parmi les maladies propres aux niveaux supérieurs, le typhus est la plus terrible ; en revanche, la fièvre jaune ne visite jamais les hauteurs, et elles semblent jouir d’une immunité à peu près complète pour la phthisie pulmonaire. C’est ainsi que dans cette contrée, où l’on trouve des échantillons de tous les climats, chaque niveau d’altitude a son fléau propre, auquel on n’échappe que pour tomber dans un autre danger. Il en résulte une crainte du déplacement, dont se ressent l’état social et politique du pays ; et nulle part peut-être on ne constate avec autant d’évidence la part du climat dans l’histoire d’une nation.


Le directeur-gérant,

C. BULOZ.