modernes le retrouveront dans la politique, cette fatalité aussi dure, aussi impérieuse, aussi dominatrice que l’autre. Que faut-il pour cela ? Mettre ses personnages dans une situation où cette nécessité politique se dresse subitement devant eux, leur donner des passions généreuses, des affections humaines, ce qu’il y a de plus contraire à cette loi d’airain, et les faire plier malgré eux sous la puissance invincible. Tout ce qu’on nomme coup d’état, crime politique, deviendrait de la sorte un sujet de tragédie où, l’horreur se trouvant tempérée par la nécessité, on verrait se développer un intérêt aussi neuf que puissant. » A l’appui de ces principes, l’empereur cita plusieurs exemples ; il omit seulement, dit Ségur, celui de ses souvenirs qui l’inspirait le plus en ce moment.
Que vous semble de la persistance de ce souvenir au milieu de tant de préoccupations qui devaient l’en préserver ? Le spectre sanglant de la nuit du 21 mars 1804, tantôt considéré par Napoléon d’un œil doux et calme, tantôt écarté au nom d’une loi irrésistible, ce n’est point une scène vulgaire. Le cadre où elle se place en rehausse l’émotion tragique. Au sortir de cette chaumière où se discutaient de telles choses, on sait quelles ivresses attendaient le puissant homme de guerre. L’entretien terminé, il visita ses parcs, ses ambulances, s’assura par ses yeux que tous ses ordres avaient été exécutés, donna de nouvelles instructions, puis revint à son bivouac, et, se jetant sur la paille de la baraque, s’y endormit profondément. Vers le milieu de la nuit, un aide-de-camp le réveilla, non sans peine, pour lui rendre compte d’une vive fusillade qu’on avait entendue sur notre droite. Une attaque des Russes venait d’être repoussée. Cet incident, qui confirmait ses prévisions, prouvait bien que les Russes, dans l’espoir de nous tourner, accomplissaient le mouvement sur lequel il comptait ; la victoire du lendemain était certaine. Voulant reconnaître une dernière fois les positions de l’ennemi, il remonte à cheval et s’aventure entre les deux lignes. Ségur faisait partie de l’escorte. L’empereur, malgré plusieurs avertissemens, se laissa entraîner si loin, qu’il donna dans un poste de cosaques. Il eût été pris ou tué sans le dévoûment de ses chasseurs. Il fallut revenir à toute bride et franchir un ruisseau marécageux où plusieurs de ceux qui le suivaient, entre autres son chirurgien Yvan, demeurèrent embourbés quelque temps. Le ruisseau franchi, Napoléon revenait à pied vers son bivouac, quand il se heurta dans l’ombre contre un tronc d’arbre renversé. Un grenadier qui se trouvait là imagine de tordre la paille de son lit de camp, en fait un flambeau, y met le feu, et, cette torche à la main, s’apprête à lui servir de guide. La flamme, éclairant soudain le visage de l’empereur, paraît un signal aux soldats des bivouacs environnans. Aussitôt, de garde en garde, de poste en poste, des