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s’écria-t-il aussitôt, les gens de lettres veulent donc mettre le feu à la France ! J’ai mis tous mes soins à apaiser les partis, à rétablir le calme, et les idéologues voudraient rétablir l’anarchie ! Sachez, monsieur, que la résurrection de la monarchie est un mystère. C’est comme l’arche ! Ceux qui y touchent peuvent être frappés de la foudre ! Comment l’Académie ose-t-elle parler des régicides quand moi, qui suis couronné et qui dois les haïr plus qu’elle, je dîne avec eux et je m’assois à côté de Cambacérès ? — Votre majesté, répondit mon père, veut sans doute parler de la commission de l’Institut, mais je ne vois pas en quoi elle a pu mériter de pareils reproches. — Elle en a mérité de plus graves, repartit l’empereur, et vous, et M. de Fontanes, comme conseiller d’état et comme grand-maître de l’Université, vous mériteriez que je vous misse à Vincennes ! — Mon père répliqua : — Je ne vous crois point capable, sire, de cette injustice. On peut trouver naturel d’entendre blâmer la condamnation à mort de Louis XVI sans croire contrarier un gouvernement qui vient de dresser à Saint-Denis des autels expiatoires ! — À ces mots, l’empereur en colère, frappant du pied, s’écria : — Je sais ce que je dois faire, et quand et comment je dois le faire ! Ce n’est point à vous de le juger, vous n’êtes point ici au conseil d’état, et je ne vous demande point votre avis ! — Je ne le donne pas, répondit mon père, je me justifie ! — Et comment, reprit l’empereur, justifiez-vous une pareille inconvenance ? — Sire, dit alors mon père, M. de Chateaubriand dans son discours compare Chénier à Milton, qui était un grand homme, et, quand il le condamne, c’est en ne traitant que d’erreur d’une âme élevée le républicanisme et le vote de Chénier. Je n’ai vu à cela rien d’inconvenant. — Enfin, ajouta Napoléon, au lieu de faire l’éloge de son prédécesseur, il a condamné tous les régicides, dont une partie est dans l’Institut. L’auriez-vous osé comme lui en face d’eux ? — Et c’est justement, sire, s’écria mon père, ce que j’ai fait dans le Tableau politique de l’Europe, quand ils gouvernaient encore, sous la république, et là, ce que M. de Chateaubriand appelle seulement une erreur, je l’ai appelé un crime ! Ces messieurs ne m’en ont pas su mauvais gré, ils sont plus accoutumés que vous ne le pensez aux discussions politiques. — Monsieur, reprit l’empereur, on lit froidement un ouvrage dans son cabinet, il n’en est pas de même d’un discours prononcé en public, cela aurait fait un scandale honteux. — En le permettant, répondit mon père, c’aurait été tout au plus un scandale de vingt-quatre heures ; en le défendant, ce sera peut-être celui d’un mois ! — Je vous répète, monsieur, reprit rudement l’empereur, que je ne demande pas de conseils. Vous présidez la seconde classe de l’Institut, je vous ordonne de lui dire que je ne veux pas qu’on traite de politique dans ses séances ! — En ce cas,