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consacre à l’Être suprême. Jamais le monde qu’il a créé ne lui offrit un spectacle aussi digne de ses regards. Il a vu régner sur la terre la tyrannie, le crime et l’imposture, etc. Élevons notre pensée et nos voix vers le grand Être qui nous donna la mission d’entreprendre nos travaux héroïques et le courage de les exécuter ! » N’est-ce pas, à peu de chose près, l’inspiration même qui avait dicté au frère d’André ces tristes vers où le déisme officiel du temps éclate dans sa pompe glaciale, le déisme de la terreur ?


Source de vérité qu’outrage l’imposture,
De tout ce qui respire éternel protecteur,
Dieu de la Liberté, père de la Nature,
         Créateur et conservateur, etc.


Quelque gazette remplie du récit de cette fête pénétra clandestinement jusqu’à la cellule de Saint-Lazare. Sous une inspiration superbe d’ironie, André prit la plume, et d’une main rapide, presque fiévreuse, il traça le dessin d’un ïambe[1], accablante satire contre les triomphateurs de la fête, invocation brûlante à la justice suprême, qui souffre de tels hommages, de tels affronts ! Là encore le parallèle entre les inspirations si diverses des deux frères s’impose à l’esprit : pas un mot, pas un trait dans l’ïambe d’André ne fait allusion au poème fraternel ; mais le contraste, par ce silence même, n’a que plus d’effet. Jamais le génie poétique d’André ne s’est élevé plus haut :


Grâce à notre sénat, le ciel n’est donc plus vide !
         De ses fonctions suspendu,
Dieu… (le vers est inachevé)
         Au siège éternel est rendu.
Il va reprendre en main les rênes de la terre.


Et ici le vers ne va pas aussi vite que l’inspiration. La raillerie, le sarcasme, puis de subites apostrophes, des élévations vers un Dieu qui ne peut être le complice de ces hypocrites, tout se succède avec une rapidité qui entraîne la prose comme dans un poétique torrent : « Il faut espérer qu’après un exil de plusieurs mois, Dieu se conduira mieux, et que sa première marque de repentance sera de punir ses nouveaux adorateurs… Quoi ! Dieu tout-puissant, tu souffres que de pareils personnages te louent et t’avouent ! Tu endures la dérision avec laquelle ils te bravent et croient que tu existes quand ils vivent ! » Et, reprenant avec un accent nouveau l’épigramme voltairienne des Systèmes :


Tu ne crains pas qu’au pied de ton superbe trône,
         Spinoza, te parlant tout bas,

  1. Inédit.