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Aiguisa le burin brûlant, impérissable.
         Fils d’Archiloque, fier André,
Ne détends point ton arc, fléau de l’imposture.
         Que les passans pleins de tes vers,
Les siècles, l’avenir, que toute la nature
         Crie à l’aspect de ces pervers :
« Oh ! les vils scélérats ! les monstres, les infâmes,
         De vol, de massacres nourris !
Noirs ivrognes de sang, lâches bourreaux de femmes
         Qui n’égorgent point leurs maris ;
Du fils tendre et pieux, et du malheureux père
         Pleurant son fils assassiné ;
Du frère qui n’a point laissé dans la misère
         Périr son frère abandonné[1]. »


On devine aisément quel est le fils tendre et pieux, et quel est le malheureux père pleurant son fils qu’on assassine. Les deux derniers vers paraissent être une sorte d’amende honorable à Marie-Joseph. André semble savoir à ce moment quels périls son frère affronte pour lui.

Même alors cependant, et jusqu’au dernier jour, les deux frères, bien que réconciliés par le malheur, restèrent profondément divisés dans leur inspiration poétique. Nous avons vu que le rôle de Marie-Joseph, marqué d’un mot sanglant par Mme Roland, était de donner des plans de fêtes nationales et de composer des hymnes pour ces fêtes. Il ne manqua pas à cette vocation, et la remplit jusqu’au bout avec moins de génie que de bonne volonté. Sauf le Chant du Départ, dont l’inspiration est belle, et qui, sur le rhythme de Méhul, méritait bien de conduire nos soldats à la victoire, les autres hymnes patriotiques sont lourds et comme saturés de la déclamation du temps. Le coup d’aile manque, les vers ne s’enlèvent que péniblement sur la mélodie qui les accompagne. On se rappelle ces strophes déplorables sur l’entrée triomphale des Suisses de Châteauvieux, où le poète célébrait l’innocence enfin de retour. Le chantre des fêtes de la révolution ne fut guère plus heureux, quoi qu’on en ait dit, dans l’Hymne à l’Être suprême, composé pour la fête que Robespierre offrit à Dieu le 20 prairial, mais qu’en réalité il s’offrait à lui-même. Tandis qu’on brûlait des figures gigantesques représentant l’Athéisme, la Discorde, l’Égoïsme, et que la statue de la Sagesse se dégageait du milieu des flammes, une symphonie se faisait entendre, des groupes chantaient alternativement les strophes de l’hymne qui semblaient répondre au fameux discours du dictateur : « Français, républicains, avait dit Robespierre, il est arrivé le jour à jamais fortuné que le peuple français

  1. Vers inédits, extraits de l’ïambe inscrit sous le no 4 dans la publication de M. Gabriel de Chénier.