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cette farce lugubre que l’on appela la conspiration des prisons[1]. « C’est une chose démontrée, disait le trop fameux Herman dans ce rapport, que toutes les factions qui ont successivement été terrassées avaient dans les diverses prisons de Paris leurs relations, leurs affidés, leurs agens dans l’intérieur en relation avec les acteurs du dehors dans les scènes projetées pour ensanglanter Paris et détruire la liberté… Tous les scélérats qui ont trempé dans ces projets liberticides existent encore dans les prisons ; ils y font une bande à part qui rend la surveillance très laborieuse, une assemblée journalière dont toute l’existence se consume en imprécations contre la liberté et ses défenseurs… Il faudrait peut-être purger en un instant les prisons et déblayer le sol de la liberté de ces immondices, de ces rebuts de l’humanité… La commission demande à être autorisée à faire ces recherches, pour en donner ensuite le résultat au comité de salut public. » A la suite de ce rapport, le comité prit, à la date du 7 messidor, un arrêté conforme. Les deux premiers noms qu’on lit au bas de l’arrêté sont ceux de Robespierre et de Barère. La commission se mit aussitôt à l’œuvre ; elle commença ses opérations au Luxembourg, et sur cent cinquante-neuf prisonniers qu’elle déféra au tribunal révolutionnaire, cent quarante-six périrent sur l’échafaud dans les trois journées du 19, du 21 et du 22 messidor. Cette rapidité dans l’exécution justifiait le mot de Barère : « que le comité avait pris des mesures pour que dans deux mois les prisons fussent évacuées. » Nous citons ce mot parce qu’il prouve que Barère s’intéressait, plus que ne le pense M. Becq de Fouquières, à la conspiration des prisons et qu’il en surveillait les résultats.

Le 23 messidor, l’administrateur de police Faro, une des plus misérables créatures de la police de Robespierre, vint commencer l’enquête à Saint-Lazare. Dès le premier jour, il manifesta ses intentions. Comme il interrogeait un prisonnier réputé patriote et lui montrait les listes toutes préparées qu’il avait dans les mains : « Voilà une centaine de noms, dit-il ; il doit y en avoir plus que cela ici. — Je ne crois pas, répondit le détenu, qu’il y ait parmi nous beaucoup de conspirateurs. — Nous en avons trouvé trois cents au Luxembourg, nous en trouverons bien autant ici. » Le commissaire se vantait ; il n’en avait trouvé que cent cinquante-neuf dans sa première mission. — Le complot qu’il organisa à Saint-Lazare fut très simple. Un prétendu comte Manini, aventurier italien, et le serrurier Coquery en furent les révélateurs complaisans. On est stupéfait en voyant sur quelles niaiseries va se jouer la vie de tant d’honnêtes gens. Tout se

  1. Voyez, pour l’historique de la prétendue conspiration de Saint-Lazare, le récit très détaillé, appuyé par de nombreux documens inédits, de M. Becq de Fouquières. Nous le suivrons fidèlement, sauf sur un point.