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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/184

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envoyait une liste de quatre cent soixante-dix-huit accusés avec ordre que les y dénommés soient mis à l’instant en jugement[1]. » À cela on répond que ces sortes d’affaires ne regardaient après tout que le bureau de police générale, composé de Robespierre, de Couthon, de Saint-Just, ainsi que le soutint plus tard Billaud-Varennes dans l’intention de se disculper ; mais Fouquier-Tinville a nié formellement que ce bureau fût un établissement distinct et séparé du comité. « Tous les ordres, dit-il dans son procès, m’ont été donnés dans le lieu des séances du comité, de même que tous les arrêtés qui m’ont été transmis étaient intitulés : Extraits des registres du comité de salut public, et signés de plus ou moins de membres de ce comité. » Il semble même, comme M. Campardon le fait remarquer, que dans les derniers temps Robespierre n’ait paru que rarement dans le comité. Carnot était absorbé par l’administration de la guerre ; Saint-Just rêvait et bâtissait Sparte dans ses rêves. Les membres vraiment actifs et dirigeans au moment de la conspiration des prisons étaient précisément Barère, Billaud-Varennes, Collot-d’Herbois. De quelque côté que l’on se retourne, la sinistre et doucereuse figure de Barère apparaît toujours. Je ne vois pas un seul motif sérieux de répudier la tradition rapportée par M. Gabriel de Chénier, attribuant à cet homme fatal sa part de responsabilité dans la désignation de l’illustre victime et la connaissance très exacte du sort qui attendait André, quand il répondit le 4 thermidor aux supplications du père : « Votre fils sortira dans trois jours. » En prononçant ces paroles, Barère savait ce qu’elles signifiaient.

Une consolation nous reste dans cette déplorable affaire. Il paraît bien démontré maintenant, par l’analyse des pièces et des documens judiciaires, que la visite de M. de Chénier père au 4 thermidor n’a eu aucune influence directe sur la destinée de son fils. Sa mort était irrévocablement décidée à cette date dans la pensée du comité de salut public. Je n’en dirais pas autant des démarches faites au commencement de prairial et du Mémoire envoyé à la commission chargée de l’examen des détentions. Quoi qu’il en puisse coûter de le croire, j’ai bien peur que cette tentative de prairial, cette agitation si intempestive, n’aient interrompu fatalement la période de silence pendant laquelle on put espérer que le poète serait oublié dans sa prison. Cela expliquerait d’ailleurs les regrets passionnés, presque les remords si touchans du père, et cette légende persistante d’une imprudence funeste qui vit encore dans la famille et que M. de Vigny a consacrée[2].

  1. M. Wallon, la Terreur, t. II, p. 339.
  2. Stello, chap. 30, 31, 32, 33, 34. M. de Vigny a choisi pour la scène de son roman la maison de Robespierre, afin d’y faire jouer plus à l’aise tous ses personnages.