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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/185

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Le reste de notre récit sera court. Nous ne pouvons mieux faire que de résumer l’historique du procès, tel qu’il est établi d’après les pièces officielles. Il y eut trois fournées à Saint-Lazare ; André Chénier fut de la seconde. Le 5 thermidor, on vint chercher à la prison les vingt-cinq premiers prévenus, dont vingt et un furent jugés dès le lendemain et presque immédiatement exécutés. Quatre femmes s’étant déclarées enceintes, les nommées d’Hinnisdal, Joly de Fleury, Meursin et de Saint-Aignan, il fut sursis, pour trois d’entre elles, à l’exécution. Seule, Mme de Saint-Aignan eut la vie sauve. Le 6 thermidor, les huissiers du tribunal révolutionnaire se présentèrent de nouveau, porteurs de l’acte d’accusation et de l’ordonnance de prise de corps contre vingt-sept autres prévenus, parmi lesquels André Chénier et Roucher. En quittant Saint-Lazare, André embrassa ses amis les plus chers, les frères Trudaine, qu’il eut peut-être la joie de croire sauvés et qu’il ne devançait que de vingt-quatre heures. Conduit avec les autres prisonniers à la Conciergerie, il fut remis entre les mains du concierge Toussaint Richard par l’huissier du tribunal Urbain-Didier Château.

On communiqua presque aussitôt aux prévenus l’acte d’accusation collectif, dans lequel étaient énumérés, sous la signature de Fouquier-Tinville, leurs prétendus crimes. Tous étaient accusés de complicité dans la ridicule conspiration « dont Allain, Selle et Isnard étaient les chefs. » Une mention spéciale était faite aux noms de Roucher et de Chénier, « écrivains stipendiés du tyran pour égarer et corrompre l’esprit public et préparer tous les crimes du despotisme et de la tyrannie. N’étaient-ils pas en 1791 et 1792 les salariés de la liste civile et les mercenaires du comité autrichien pour provoquer en la diffamant la dissolution des sociétés populaires et la proscription de tous les patriotes qui en étaient membres ? N’étaient-ce pas eux qui, émules des Royou, des Fontenay, des Durosoy, rédigeaient le Supplément du Journal de Paris, où l’on préparait la contre-révolution ? » On voit par ces dernières lignes de quel côté partait le coup qui frappait André Chénier. Le vrai, le seul grief était sa lutte héroïque contre les jacobins ; mais, par une singulière confusion, on mettait de plus à sa charge le dossier de son frère Sauveur, détenu à la Conciergerie depuis deux mois, et cette erreur se reproduisait dans l’indication de ses titres et profession : « André Chénier, âgé de trente et un ans, né à Constantinople, homme de lettres, ex-adjudant-général chef de brigade sous Dumouriez. » On a expliqué de la façon la plus plausible la cause de cette confusion. Quand le comité, de salut public eut renvoyé au tribunal la liste des prévenus de Saint-Lazare, avec ordre d’instruire immédiatement, Fouquier-Tinville adressa à la