Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des cavernes en Saxe, en Bavière, en Prusse ! .. y pense-t-on ? Quoi qu’on puisse nous dire, nous raconter et nous démontrer, nous répondrons toujours comme Mme Pernelle « que souvent l’apparence déçoit, que les gens de bien sont enviés toujours, qu’aux faux soupçons la nature est sujette, » et que nous sommes résolus à respecter nos vainqueurs, sans attendre qu’on nous en fasse intimer l’ordre par un congrus international.

M. Wuttke est non-seulement un honnête homme, que révoltent toutes les malhonnêtetés littéraires, mais un libéral qui déplore l’asservissement croissant de l’esprit public en Allemagne, et s’en prend à la presse, de jour en jour plus dépendante, de jour en jour plus docile aux leçons et aux mots d’ordre qu’elle reçoit du pouvoir. À tort ou à raison, M. Wuttke est peu satisfait des transformations qui se sont accomplies dans son pays depuis 1866. Partisan résolu de ce qu’on appelait autrefois la grande Allemagne, c’est-à-dire d’une confédération ou d’un empire germanique d’où l’Autriche n’était point exclue, il a vu son parti se fondre comme une pelote de neige, la grande Allemagne de ses rêves a fait place à une grande Prusse qui ne lui agrée point. Il est demeuré fidèle à sa chimère, il s’indigne que ses regrets soient si peu partagés, il s’afflige du changement soudain qui s’est opéré dans les esprits, de toutes les conversions désintéressées ou intéressées dont il a été témoin, de l’incroyable facilité avec laquelle les renégats font peau neuve, de la solitude qui se fait en un jour autour des convictions malheureuses. Il s’afflige, mais il ne s’étonne pas ; — il a employé ses loisirs à étudier les procédés dont usent certains gouvernemens pour s’emparer de la presse et de l’opinion. Il prétend qu’un spéculateur viennois disait récemment à quelques-uns de ses associés, inquiets des comptes qu’ils avaient à rendre : — Rien de fâcheux ne peut nous arriver, car les journaux nous appartiennent. — Il rapporte aussi ce mot d’un homme d’état prussien : — Nous n’avons rien à craindre de l’opinion publique, puisque c’est nous qui la faisons.

L’Allemagne a vécu longtemps sous le régime de la censure ; mais la censure est une institution démodée, un outil rouillé, dont le tranchant s’est ébréché. Il faut en abandonner l’usage à cette politique sénile, qui n’est pas de son siècle et cherche son salut dans les vieux moyens et les vieilles rubriques. Certains onguens célèbres il y a cent ans ne guérissent plus personne aujourd’hui, tant le monde est devenu pervers. Les nouveautés n’effraient point les vrais hommes d’état, ils s’entendent à se servir de tout. Le parlementarisme peut n’être pas de leur goût, ils ne laissent pas de s’accommoder des parlemens ; ils ne suppriment pas la tribune, ils l’apprivoisent. La liberté de la presse peut ne pas leur agréer ; mais ils savent que le journalisme est un mal nécessaire, et qu’il n’est point de maux dont on ne puisse avec un peu