premiers journaux de l’Allemagne comptent parmi leurs collaborateurs habituels un ou plusieurs écrivains appartenant au bureau de la presse, et il cite le mot d’un publiciste bien informé qui lui écrivait récemment : « Je ne connais guère de journaux allemands dans la rédaction desquels ne siège pas quelque amateur des bains de boue. » À quoi les reconnaît-on, ces baigneurs ? Non-seulement à leurs opinions, à leurs tendances, à leur zèle infatigable pour la cause sainte, mais encore à leur style libre et dégagé, à je ne sais quelle désinvolture cavalière, à ce ton de supériorité morgueuse qu’affecte l’initié de Berlin, lorsqu’il daigne expliquer les grands mystères aux Allemands qui n’ont pas eu le bonheur de naître Prussiens et qui ne seront jamais que des Prussiens de seconde classe.
Quand Harvey eut découvert les lois de la circulation du sang, on se rendit compte d’un grand nombre de faits tenus jusqu’alors pour inexplicables. Il est d’autres phénomènes bizarres qui s’expliquent fort bien quand on connaît les méthodes employées par les bureaux de la presse pour faire circuler les opinions. Qui de nous ne s’est émerveillé plus d’une fois de l’inconcevable rapidité avec laquelle se propagent dans la presse d’outre-Rhin certains courans de pensées, certains bruits, certains mots d’ordre, certaines imputations peu fondées ? Il y a quelques semaines par exemple, nous avons eu une alerte. Les étrangers en séjour à Paris savent combien la France est aujourd’hui peu guerroyante ; ils savent que tout entière à ses propres affaires, qui lui donnent quelque souci, plus désireuse que jamais de se refaire de ses désastres, elle demande au ciel et à son gouvernement de lui assurer pour de longues années les bienfaits de la paix. Et pourtant un journaliste allemand s’avisa naguère de crier à l’Europe du haut de sa tête qu’on nourrissait à Paris les plus ténébreux desseins : — la France, disait-il, achète des chevaux, et cet indice, joint à d’autres, prouve jusqu’à l’évidence qu’avant trois mois elle se jettera sur l’Allemagne comme le vautour sur sa proie. Ce que disait ce journaliste, à cinquante lieues de là un de ses confrères ou de ses compères le répétait. Le même jour, à la même heure, la sinistre nouvelle circulait à Francfort, à Leipzig, à Stuttgart, et le lendemain cent journaux, invoquant le témoignage les uns des autres, s’écriaient en chœur : Avant trois mois, la France nous déclarera la guerre ! — Et ils ajoutaient : — Il faut bien que cela soit, puisque tout le monde l’affirme. — À quoi la France aurait pu répondre par le mot d’Almaviva : — Il y a de l’écho ici ! — Mais devant un tel concert d’accusations son innocence a failli se troubler, peu s’en est fallu qu’elle ne se crût coupable, qu’elle ne rougît des mauvaises pensées qu’elle n’avait pas eues, et qu’elle n’avouât, en se frappant la poitrine, que l’Allemagne avait raison de ne plus vouloir lui vendre de chevaux. « On échauffe les oreilles du bon Michel, disait un journal