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des intérêts de l’Italie. L’Espagne elle-même nous a fait des querelles d’Allemands, elle nous a envoyé des notes ; on a répondu le moins possible à cette diplomatie tapageuse, on a laissé passer ce pouvoir mal inspiré qui a été bientôt remplacé par un gouvernement ami. Avec l’Allemagne, nos relations n’ont pas été toujours faciles, et, bien que les difficultés ne vinssent pas de nous, est-ce que notre gouvernement ne s’est pas interdit jusqu’à l’impatience ? N’a-t-on pas tout épuisé pour éviter les conflits et les froissemens ? Nulle part assurément on ne peut distinguer la moindre trace d’une velléité agitatrice. Par raison, par dignité, par une inspiration de virile sagesse, la France s’est montrée entre toutes la nation pacifique ; elle a sûrement réussi à dissiper par cette conduite bien des défiances, et, lorsqu’aujourd’hui, à Liverpool, à Bradford, à Birmingham, un de nos éminens compatriotes, M. Michel Chevalier, est accueilli avec les plus honorables marques de sympathie, que signifient ces démonstrations ? Elles s’adressent non-seulement au promoteur de la liberté commerciale, mais encore et surtout au messager de la nation laborieuse et pacifique.

Évidemment, le bon sens des nations sérieuses ne peut s’y tromper, la France est tout entière à la paix pour longtemps, et si elle se livre lentement, quelquefois assez confusément, à cette réorganisation de l’armée, qui n’est qu’un prétexte de récriminations et de polémiques, ce n’est certes point parce qu’elle a des intentions menaçantes, c’est parce qu’elle veut rester la France. Elle fait aujourd’hui ce qu’elle aurait dû faire avant 1870 ; elle répare aussi les pertes qu’elle a essuyées pendant la guerre, elle relève ses forteresses démantelées ou elle renouvelle ses institutions militaires. Il faut en prendre son parti, on ne découvrira ni desseins d’agitation ni combinaisons secrètes dans l’acte le plus simple d’un pays qui ne veut pas déchoir, et les journaux allemands eux-mêmes, après beaucoup de bruit pour rien, finissent par se calmer. S’ils ne reconnaissent pas qu’ils se sont trompés, qu’ils ont pris des chimères pour des réalités, ils commencent à croire qu’ils ont tiré un coup de pistolet inutilement ou inopportunément. C’est fort heureux. Convenez cependant qu’il y a quelque chose d’étrange dans ces reproches d’armemens démesurés adressés à la France par les journaux d’une nation puissante ; qui depuis quelques années a dépensé des sommes immenses en fortifications, qui a sur notre frontière Metz et Strasbourg, qui a porté son armée permanente au-delà de 400,000 hommes et qui en quelques jours pourrait mettre plus de 1 million de soldats sur pied ! Les Allemands se plaignent quelquefois, ils ont les inconvéniens de la grandeur, et s’il y a par instans des malaises en Europe, au lieu de chercher les causes bien loin, ils n’ont qu’à se souvenir de ces paroles que M. de Moltke prononçait l’an dernier dans le parlement de Berlin : « Ne nous faisons aucune illusion, depuis nos heureuses guerres nous sommes partout respectés, nulle part nous ne sommes plus aimés.