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d’honneur et qui n’a pas même une ombre d’hésitation quand le roi lui propose d’aller fomenter honteusement la révolte des provinces, — cette Carmen enfin dont l’amour trahit à la fois le mari, l’amant et le roi, — quelle sorte d’intérêt veut-on que nous puissions prendre à de semblables personnages ? Du moins s’ils concouraient à une action dramatique émouvante, ou si l’on entrevoyait seulement un but à l’agitation qu’ils se donnent sur la scène ; mais où est l’unité du drame et quelle est l’intention de l’auteur ? Est-ce au complot de la délivrance des Flandres qu’il a voulu suspendre la curiosité du spectateur, est-ce aux amours de la duchesse d’Alcala ? Où est la lutte, où le conflit tragique, où l’émotion enfin que nous allons demander au théâtre ? La langue encore pouvait prêter une apparence de vie à ce simulacre de drame ; malheureusement, incorrecte, violente, emphatique, avec ce mélange de prétention et de trivialité familière qui caractérise la jeune poésie, d’exaltation brutale et de déclamations anti-religieuses ou démocratiques, il ne semble pas qu’elle promette le poète plus que la pièce ne promet l’écrivain dramatique. Reste une odieuse caricature de Philippe II, contre la licence de laquelle on ne saurait s’empêcher de protester, non pas que nous reprochions à M. de Porto-Riche d’avoir peint Philippe II amoureux : « il était facile, dit l’histoire, au péché de la chair. » Convenait-il toutefois de s’en souvenir, et l’amour chez Philippe II n’est-il pas de ces traits qui jurent avec le caractère vrai ? La ressemblance d’un portrait n’est pas dans l’exacte et littérale reproduction des moindres linéamens d’une physionomie, elle est tout entière comme ramassée dans un détail unique, celui-là que les grands peintres seuls en savent dégager. Et c’est aussi pourquoi je me soucie fort peu de savoir si tel costume semble quelque Titien ou quelque Véronèse descendu pour le plaisir des yeux de son cadre sur la scène de l’Odéon. Pourtant, s’il est entendu que des oripeaux et du clinquant arrangés d’une certaine manière s’appelleront Philippe II, et me donneront ce que j’aimerais mieux rencontrer de vérité dans les actes et la parole, que le pourpoint ne soit au moins brodé ni d’or ni d’argent quand l’histoire m’apprend que « Philippe II était toujours vêtu de drap de soie, à l’exclusion de l’or et de l’argent, » que l’homme ne m’apparaisse pas surtout sous le masque de ce tartuffe couronné qu’on lui impose à l’Odéon, et dont on dirait que l’acteur prend à tâche d’accuser la componction hypocrite. Qu’y a-t-il de commun entre ce Philippe II répondant à la femme qui lui oppose le courroux du ciel :

Je ferai tant pour lui qu’il me pardonnera !


et le Philippe II de l’histoire, fanatique sans doute, cruel, impitoyable, — en cela d’ailleurs l’homme de son temps, — mais convaincu ? Ce sont des applaudissemens de faux aloi que ceux qu’on arrache en travestissant et bafouant les majestés royales. Le théâtre est une école,