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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/27

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FLAMARANDE.

Je craignais d’éveiller Roger, qui dormait déjà, en ouvrant la porte de l’appartement, qui était lourde et assez bruyante. Il n’y en avait qu’une apparente dans chacun de ces appartemens superposés ; mais, en avisant une grande armoire encastrée dans la muraille et toute pareille à celle de la chambre de la comtesse, je me dis qu’elle était peut-être également en communication avec le passage secret et l’escalier pratiqué dans l’épaisseur des murs.

Je ne me trompais pas, car cette disposition architecturale était logique, et le travail secret d’Ambroise avait consisté à la rétablir et à la cacher au moyen des armoires à double fond. Ces voies de communication entre le donjon et le Refuge servaient habituellement aux initiés, et les panneaux de boiserie fonctionnaient sans effort et sans bruit. J’ouvris donc le fond de l’armoire, je vis l’escalier, et je m’assurai de pouvoir gagner la campagne sans être vu de personne. Je ne voulais plus être interrogé, je ne voulais plus répondre à rien.

Au moment de descendre l’escalier dérobé, j’éprouvai le besoin de voir Roger une dernière fois, et, refermant l’armoire, qui amenait du froid, je m’approchai du lit. Comme il était tout à fait caché par le rouleau de matelas et de couvertures, je me glissai dans la ruelle, mais je ne pus voir son visage enfoncé dans les coussins. Il avait l’attitude écrasée d’un homme vaincu par la fatigue, ou plutôt celle d’un enfant que le sommeil saisit avant qu’il ait eu le temps de prendre une posture logique. Je ne pus voir de lui que sa main relevée au-dessus de sa tête. J’y posai doucement mes lèvres, il la retira sans s’éveiller, comme pour échapper à un contact importun. J’allais partir lorsque j’entendis monter l’escalier dérobé et glisser le panneau. Je me blottis sur mes talons dans la ruelle du lit. Je ne voulais plus être vu de personne. Je me considérais comme mort et déjà enseveli. Je ne pouvais voir, à moins de me montrer, les personnes qui entraient : elles étaient deux ; mais bientôt la voix de M. de Salcède se fit entendre.

— Il est six heures ; c’est l’heure où Charlotte se lève, n’est-ce pas ?

— Oui, répondit la voix de Gaston. Attendons un instant ; je l’entendrai descendre. Je vais allumer le feu. Tiens ! on l’a déjà fait !

— C’est Charles en prévision de l’arrivée de Roger ; mais Roger ne sera pas ici avant neuf heures. J’ai le temps de parler à ta mère.

— Ah ! reprit Gaston, j’entends ouvrir sa porte. Je vais dire à Charlotte que vous attendez madame ici.

Gaston sortit. Salcède marcha lentement comme un homme qui médite. S’il jeta les yeux sur le lit, il fut trompé par cette apparence de rangement particulier aux meubles inoccupés. Roger dormait si profondément qu’on n’entendait même pas sa respiration.