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Je calculais si, au cas probable où Salcède sortirait pour aller à la rencontre de la comtesse, j’aurais le temps de me retirer par le passage secret. Et puis, une idée bonne ou mauvaise s’empara de moi. Salcède voulait voir la comtesse avant Roger ; lui parlerait-il en présence de Gaston, ou voulait-il être seul avec elle ? Dansée dernier cas, je pouvais saisir enfin la preuve infaillible, décisive, de la nature de leurs relations. Ils ne s’entretiendraient pas de l’avenir des jounes gens sans que renonciation de la vérité se fît jour, surtout s’il y avait discussion, et je saurais enfin, moi, si j’avais le rôle honteux ou le rôle triomphant dans l’histoire de la famille. Roger aussi était exposé à entendre une révélation terrible ; … mais je connaissais son sommeil. Il ne s’éveillerait que si je m’en mêlais ; mon devoir était de tout surveiller, afin d’interrompre l’entretien dangereux par une diversion opportune.

Au bout de cinq minutes, Gaston revint. — Madame était déjà levée, dit-il à Salcède. Charlotte, que j’ai avertie de votre part, lui a parlé, et m’a répondu de la sienne qu’elle serait ici à l’instant. Dites-lui tout, j’aurai plus de courage pour lui parler ensuite moi-même.

— Tu reviendras ?

— Quand vous me ferez appeler par Charlotte, qui reste là-haut pour faire la chambre, je serai à la ferme.

Gaston sortit, et peu d’instans plus tard madame se trouva ou se crut en tête-à-tête avec Salcède. S’il la salua en silence, il ne lui baisa pas la main, car leurs voix me firent connaître qu’ils restaient à distance respectueuse l’un de l’autre.

Salcède entra en matière tout de suite. Sans doute il avait promis à Roger de ne pas parler de ce qui s’était passé, il voulait lui laisser l’initiative de sr. loyale résolution et le plaisir de donner cette joie à sa mère. Il ne lui parla que de Gaston.

— Pardonnez-moi, lui dit-il, de me présenter si tôt devant vous ; mais je vous sais matinale et je viens d’avoir au Refuge avec Gaston un entretien dont il veut que je vous fasse part avant de passer outre en quelque sens que ce soit.

— Dites, mon ami, répondit la comtesse ; vous m’effrayez ! Qu’y a-t-il de nouveau ?

— Il y a ceci de très imprévu, que Gaston refuse de devenir mon fils adoptif, de recevoir mon nom et d’avoir droit à ma fortune.

— Pourquoi ?

— Impossible de savoir pourquoi. Il ne veut rien expliquer. Il dit non, et le non de Gaston est une chose terrible.

— Ah ! s’écria Mme de Flamarande, il est bien le fils de son père ! Le non de M. de Flamarande était effrayant, mais c’était l’obstination de l’injustice, et chez Gaston c’est la fermeté d’une âme gêné-