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fonctions vitales étant susceptibles d’une foule de variétés, on ne peut rien prévoir, rien calculer dans leurs phénomènes. D’où il faut conclure, dit Bichat, « que des lois absolument différentes président à l’une et à l’autre classe de phénomènes. »

Telle est, dans ses grands traits et avec ses conséquences, la doctrine des propriétés vitales, qui a longtemps dominé dans l’école malgré les justes critiques dont elle est passible. Nous allons examiner brièvement si la division des phénomènes en deux grands groupes, telle que l’établit la doctrine dont Bichat s’est fait l’éloquent défenseur, est bien fondée, et si elle ne serait pas plutôt une conception systématique que l’expression de la vérité. D’abord est-il vrai que les corps de la nature inorganique soient éternels et que les corps vivans seuls soient périssables ; n’y aurait-il pas entre eux de simples différences de degrés qui nous font illusion par leur grande disproportion ? Il est certain par exemple que la vie d’un éléphant peut paraître l’éternité par rapport à la vie d’un éphémère, et quand nous considérons la vie de l’homme relativement à la durée du milieu cosmique qu’il habite, elle doit nous paraître un instant dans l’infini du temps. Les anciens ont pensé ainsi : ils opposaient le monde vivant, où tout est sujet au changement et à la mort, au monde sidéral, immuable et incorruptible. Cette doctrine de l’incorruptibilité des cieux a régné jusqu’au xviie siècle. Les premières lunettes permirent alors de constater l’apparition d’une nouvelle étoile dans la constellation du Serpentaire ; ce changement dans le ciel, accompli pour ainsi dire sous les yeux de l’observateur, commença d’ébranler la croyance des anciens : materiam cœli esse inalterabilem. Aujourd’hui l’esprit des astronomes est familiarisé avec l’idée d’une mobilité et d’une évolution continuelle du monde sidéral. « Les astres n’ont pas toujours existé, dit M. Faye ; ils ont eu une période de formation ; ils auront pareillement une période de déclin, suivie d’une extinction finale. » L’éternité des corps sidéraux invoquée par Bichat n’est donc pas réelle ; ils ont une évolution comme les corps vivans, évolution lente, si on la compare à notre vie pressée, évolution qui embrasse une durée hors de proportion avec celle que nous sommes habitués à considérer autour de nous. D’un autre côté, les astronomes, avant de connaître les lois des mouvemens des corps célestes, avaient imaginé des puissances, des forces sidérales, comme les physiologistes reconnaissaient des forces et des puissances vitales. Kepler lui-même admettait un esprit recteur sidéral par l’influence duquel « les planètes suivent dans l’espace des courbes savantes sans heurter les astres qui fournissent d’autres carrières, sans troubler l’harmonie réglée par le divin géomètre. »