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ces mêmes idées séduisirent et entraînèrent tous les esprits. Bichat ne se contente point d’affirmer l’antagonisme des deux ordres de propriété qui se partagent la nature ; mais en les caractérisant les unes et les autres il les oppose d’une manière saisissante. « Les propriétés physiques des corps, dit-il, sont éternelles. À la création, ces propriétés s’emparèrent de la matière, qui en restera constamment pénétrée dans l’immense série des siècles. Les propriétés vitales sont au contraire essentiellement temporaires ; la matière brute en passant par les corps vivans s’y pénètre de ces propriétés qui se trouvent alors unies aux propriétés physiques ; mais ce n’est pas là une alliance durable, car il est de la nature des propriétés vitales de s’épuiser ; le temps les use dans le même corps. Exaltées dans le premier âge, restées comme stationnaires dans l’âge adulte, elles s’affaiblissent et deviennent nulles dans les derniers temps. On dit que Prométhée, ayant formé quelques statues d’hommes, déroba le feu du ciel pour les animer. Ce feu est l’emblème des propriétés vitales : tant qu’il brûle la vie se soutient ; elle s’anéantit quand il s’éteint. »

C’est uniquement de ce contraste dans la nature et dans la durée des propriétés physiques et des propriétés vitales que Bichat déduit tous les caractères distinctifs des êtres vivans et des corps bruts, toutes les différences entre les sciences qui les étudient. Les propriétés physiques étant éternelles, dit-il, les corps bruts n’ont ni commencement ni fin nécessaires, ni âge, ni évolution ; ils n’ont de limites que celles que le hasard leur assigne. Les propriétés vitales étant au contraire changeantes et d’une durée limitée, les corps vivans sont mobiles et périssables ; ils ont un commencement, une naissance, une mort, des âges, en un mot une évolution qu’ils doivent parcourir. Les propriétés vitales se trouvant constamment en lutte avec les propriétés physiques, le corps vivant, théâtre de cette lutte, en subit les alternatives. La maladie et la santé ne sont autre chose que les péripéties de ce combat : si les propriétés physiques triomphent définitivement, la mort en est la conséquence ; si au contraire les propriétés vitales reprennent leur empire, l’être vivant guérit de sa maladie, cicatrise ses plaies, répare son organisme et rentre dans l’harmonie de ses fonctions. Dans les corps bruts, rien de semblable ne s’observe ; ces corps restent immuables comme la mort dont ils sont l’image. De là une distinction profonde entre les sciences qu’il nomme vitales et celles qu’il appelle non vitales. Les propriétés physico-chimiques étant fixes, constantes, les lois des sciences qui en traitent sont également constantes et invariables ; on peut les prévoir, les calculer avec certitude. Les propriétés vitales ayant pour caractère essentiel l’instabilité, toutes les