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II.

Une semaine s’écoula, puis une autre, et l’étourdi avait tout à fait oublié cet absurde projet de mariage lorsque apparut un beau jour M. Lévi Weinreb éblouissant de la tête aux pieds. Ses boucles noires, ses chausses de satin, sa pelisse, ses bottes, tout brillait, et il souriait, de quel doux sourire !

— Ah çà, qu’apportes-tu ? demanda Valérien occupé au moment même à émietter du pain pour les mésanges qui voletaient entre les doubles châssis des fenêtres d’hiver.

— Nous nous sommes partagé la besogne.

— Quelle besogne ?

— Eh ! mon Dieu, le mariage…

— C’est juste. Où en est-il ?

— Je disais que nous nous étions partagé la besogne : Sonnenglanz s’est chargé des dettes, le Cracovien de la dot, Smaragd de la propriété, et votre serviteur de la fiancée.

— Sagement distribué ! et quels sont vos succès jusqu’ici ?

— Moi, j’ai atteint mon but, dit Weinreb en souriant ; j’ai la fiancée.

— C’est déjà quelque chose, mais, je t’en préviens, réfléchis avant de me la nommer.

— Oh ! cette fois il n’y a pas à réfléchir, répliqua le jeune Juif avec aplomb. Je vous ai déniché là un parti… ce qui s’appelle un parti, entendez-vous ? Jugez-en vous-même, jeune, belle, la pureté même, riche, de bonne famille, spirituelle, savante comme un rabbin, sans défauts… il faut s’agenouiller.

— Et tu la nommes ?…

— Vous la connaissez sans doute.

— Son nom, vite…

— Mais… c’est une Allemande… balbutia le Juif en reculant vers la porte.

— Tant mieux ! les Allemandes sont plus instruites et surtout meilleures ménagères que les Polonaises.

— C’est une demoiselle de Festenburg ! dit enfin Weinreb.

— Quelle idée !

Le Juif avait déjà un pied hors de la chambre.

— Allons ! ne te sauve pas, imbécile.

— Vous criez si fort…

— Parce que tu n’as pas le sens commun dans tes choix.

— Vous êtes difficile !

— Âne que tu es ! Elle ne voudra pas de moi, c’est un des meilleurs partis de la contrée ; d’ailleurs je ne la connais pas du tout.