— En revanche, Weinreb la connaît ; laissez-le faire, dans un mois elle sera votre femme sans le secours d'aucune sorcellerie.
— Avant tout, je prétends voir la demoiselle.
— La voilà ! s'écria triomphalement l'usurier en fouillant dans sa ceinture. — Il remit une photographie au gentilhomme. — Qu'en dites-vous ? Si vous n'êtes pas satisfait, vous avez mauvais goût.
— Une belle fille, j'en conviens, répondit M. Kochanski considérant le portrait, mais il faut que je la voie elle-même ; autrement je ne saurais me décider.
— Vous la verrez sur-le-champ, repartit Weinreb avec allégresse.
— Comment ? tu l'as aussi sous la main ?
— Vous la verrez, mais elle ne doit pas vous voir, sans quoi tout est perdu.
— Pourquoi perdu ?
— Comprenez donc; le père est un homme pratique. Il vous observera, il examinera votre propriété quand nous l'aurons mise en ordre, et il dira oui, je vous en réponds; mais pour la demoiselle, c'est bien différent. Elle a beaucoup lu : des romans, des poésies, et demander sa main de prime-saut serait compromettre l'avenir, cette enfant tient nécessairement à ce que vous jouiez avec elle une petite comédie, à moins que vous ne prétendiez vous en tenir à une seule action d'éclat, une action héroïque !
— Qu'entends-tu par là ? demanda Valérien en riant de bon cœur.
— Ce que j'entends ? J'imagine la demoiselle en traîneau par exemple, les chevaux s'emportent, et vous lui sauvez la vie.
— Si j'attends un pareil accident…
— Ou bien le château de M. de Festenburg brûle, interrompit Weinreb; pourquoi ne brûlerait-il pas ?
— Drôle ! tu serais capable d'y mettre le feu.
— Croyez-moi, l'occasion se présentera ; quant à présent, il suffit que vous voyiez votre future. Tenez, voici des habits de Juif que j'ai apportés pour vous, endossez-les, montez dans mon traîneau, et je vous conduis à Kosciolka, où M. de Festenburg possède un bel étang vis-à-vis de son château. La demoiselle patine volontiers…
— Et tu t'imagines qu'elle patinera pour notre arrivée ?
— Je n'imagine rien, gémit Weinreb ; ne suis-je pas faktor (factotum) de M. de Festenburg ? Mlle Hélène m'a demandé de lui rapporter de Lemberg de nouveaux patins qu'elle essaiera naturellement sans retard, et vous verrez la belle personne…, si riche ! un ange du ciel !
— Partons !
Lévi Weinreb se mit en devoir de friser et d'habiller M, Kochanski. Lorsque celui-ci fut vêtu de satin noir et de martre, on eût dit un vrai Juif polonais, mais un beau Juif de l'avis de