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résumant les mêmes auteurs que Porphyre, a été sur ce point d’autant plus long que Porphyre avait été plus court, et qu’il se soit piqué de bien faire connaître la prescription pythagoricienne. « Un pythagoricien, dit-il, ne sortait jamais de son lit avant d’avoir repassé dans son esprit tout ce qu’il avait fait la veille. Voici comment il faisait cette récapitulation. Il tâchait de ressaisir d’abord ce que dans sa maison il avait dit, ce qu’il avait entendu, ce qu’il avait ordonné à ses gens en premier, en second, en troisième lieu. Même méthode pour ce qu’il se proposait de faire. Puis, pensant à ce qu’il avait fait hors de sa maison, il se rappelait quelles personnes il avait rencontrées, quelle avait été la première, la seconde, la troisième, quels discours il avait échangés avec celui-ci, celui-là, ce troisième, et ainsi de suite. Il s’efforçait ainsi de se remettre en mémoire tout ce qui s’était passé dans toute la journée, en observant bien l’ordre et la succession des faits et des discours. Si le matin il avait un peu plus de loisir, il poussait cet examen jusqu’au troisième jour. Les pythagoriciens tâchaient d’exercer ainsi leur mémoire, pensant que pour acquérir la science, la prudence et une complète expérience, il n’est rien de tel que la fermeté des souvenirs[1]. » Le texte cette fois ne laisse rien à désirer pour la clarté. Si grande est la prétention à l’exactitude dans le détail qu’elle devient comique. Cette longue et déraisonnable explication donnée par un savant philosophe montre suffisamment quel sens inepte les anciens attribuaient souvent au simple et beau précepte de Pythagore.

Il est probable que l’erreur qui faisait de l’examen de conscience un exercice de mémoire doit être imputée au célèbre péripatéticien Aristoxène, qui avait beaucoup écrit sur Pythagore ; nous ne prétendons pas que Jamblique a ici directement puisé dans les livres d’Aristoxène, mais il résumait des auteurs qui eux-mêmes avaient beaucoup emprunté au péripatéticien. La méprise de celui-ci a fait fortune sous la recommandation d’un grand nom. Tous ceux qu’eurent à écrire sur l’école pythagoricienne, si difficile à bien connaître dans la suite des temps, parce qu’elle était à la fois mystérieuse et dégénérée, durent naturellement s’en référer à un ancien historien de la philosophie qui par le temps où il vécut avait été plus près des sources de la doctrine. Son livre fut sans cesse consulté et résumé. Pendant six siècles, d’Aristoxène à Jamblique, Terreur courut de livre en livre sans être arrêtée au passage. D’ailleurs la formule était assez exacte, l’interprétation seule était fausse. C’était bien la lettre du précepte, mais sans lumière. S’il est vrai, selon la célèbre comparaison de Lucrèce, que la vérité

  1. Vie de Pythagore, ch. XXIX, p. 165.