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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/398

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avant notre coucher. » Il trouve des mots qui ne sont pas sans éloquence sur le repentir redonnant la santé, sur le bonheur d’une âme qui, se voyant conforme à la loi prescrite, « se couronne elle-même des fruits d’une joie divine. » On s’étonne de rencontrer dans le monde païen, à une si grande distance des sources de la doctrine, une si nette intelligence de la prescription pythagoricienne, une pareille ardeur à la propager, enfin cette délectation dans l’étude et la surveillance de soi-même. Ainsi au Ve siècle dans l’école platonicienne on avait retrouvé le sens des vers si platement interprétés par Porphyre et Jamblique, et l’antique précepte, après bien des éclipses, reparut encore une fois dans tout l’éclat de sa raisonnable simplicité et de sa grâce morale.

Le précepte de Pythagore, devenu à la longue stoïcien, puis platonicien, ne manqua pas d’être adopté par le christianisme primitif, qui recueillait volontiers et sans vain scrupule dans la sagesse antique les prescriptions salutaires capables d’assurer la pureté de l’âme. On peut ici se demander si le christianisme n’a fait qu’emprunter le précepte ou s’il l’a transformé en l’adoptant. Au premier abord, il semble qu’il n’y ait aucune différence sur ce point entre la pratique des philosophes et celle des chrétiens, et pourtant les différences sont notables. Selon le christianisme, l’examen de conscience et l’aveu des fautes impliquent une prière pour demander à Dieu la vertu qu’on n’a pas ou qu’on n’a plus. Une pareille demande eût paru aux anciens tout à fait superflue, et la prescription eût été pour eux incompréhensible. Ils pouvaient bien dire çà et là vaguement que la vertu est divine, qu’elle est une inspiration ; mais l’idée ne leur venait pas de la demander. Sur ce point, leur langage est souvent des plus explicites. Les anciens laissaient aux dieux le gouvernement du monde, mais ils tenaient à régner sur eux-mêmes et à régner sans partage. Leurs biens, leurs corps étaient livrés au caprice de la Divinité, mais leur âme n’était qu’à eux, et tout l’effort du stoïcisme consistait à s’appartenir. On connaît la prière d’Horace : « Demandons à Jupiter ce qu’il peut donner ou retirer, la vie, la richesse ; quant à la paix de l’âme, c’est affaire à moi de me la donner :

Det vitam, det opes, æquum mi animum ipse parabo[1]. »


Cicéron fait dire à un de ses personnages plus formellement encore : « Pour la vertu, personne n’a jamais cru la tenir d’un dieu, virtutem nemo unquam acceptam deo retulit. » Il ajoute : « Quel homme a jamais rendu grâce aux dieux de ce qu’il était homme de bien ?

  1. Épîtres, I, 18, 112.