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chaleur et d’humour, d’esprit et d’enthousiasme. L’homme d’ailleurs ne diffère point de ses œuvres : cœur généreux, tête ardente, le voilà bien tout entier, et sa vie racontée par lui ne serait peut-être ni le moins complexe, ni le moins curieux de ses romans. Il naquit en 1833 à Guadix, petite ville oubliée de la province de Grenade. C’est là qu’il fit ses premières études, dans ce beau pays de l’Andalousie tout plein de poétiques souvenirs, avec ses tours désertes, ses mosquées muettes, ses palais maures tombant en ruines, « ensevelis au milieu des fleurs. » Durant une partie de son enfance, il avait été aveugle. A quatorze ans, il se rendit à Grenade, s’y fit recevoir bachelier et commença ses études de droit. Malheureusement son père n’était pas riche, les charges étaient lourdes à la maison, les enfans nombreux : il lui fallut revenir dans sa ville natale, et là, renonçant au droit pour la théologie, se préparer à entrer dans les ordres ; mais on ne décide pas ainsi d’une vocation. Alarcon n’était pas né pour faire un prêtre ; déjà au séminaire il se distinguait entre tous par une curiosité d’esprit, une indépendance de caractère, peu compatibles avec la gravité des fonctions sacerdotales. Les idées nouvelles de la révolution française, pénétrant à la suite des soldats de Napoléon jusqu’au fond de la Péninsule, avaient brisé le moule de la vieille société espagnole : nombre de couvens avaient été fermés, les terres mises à l’encan, les livres des bibliothèques vendus à vil prix ou misérablement abandonnés ; notre théologien eut ainsi à sa disposition des milliers de volumes, trésor inestimable dont nul autre que lui ne s’inquiétait plus ; il y puisa à pleines mains sans méthode et sans choix, passant indifféremment des encyclopédistes aux pères de l’église, de la poésie à la scolastique et de l’histoire à l’alchimie. Beaucoup de ces livres étaient écrits en italien et en français : seul et sans autre guide que le latin, qui lui servait à comparer les textes, il apprit ces deux langues ; en même temps, et comme si tant d’alimens divers ne pouvaient suffire à calmer l’ardeur de son esprit, il commençait à écrire et s’essayait dans tous les genres.

On comprend sans peine quel trouble dut jeter dans l’âme du jeune séminariste ce débordement de lectures incohérentes, inutiles les unes, dangereuses les autres. Depuis longtemps déjà il avait renoncé à suivre la carrière ecclésiastique ; mais ses parens tenaient bon. Il imagina de fonder à Cadix, en compagnie d’un de ses amis, un recueil littéraire, l’Écho d’Occident ; à eux deux et sans quitter leur ville natale, ils se chargeaient de fournir à la consommation du numéro hebdomadaire. Chose curieuse à dire, cette publication réussit, et quand au bout de quelques mois, devenu riche grâce à l’argent des souscripteurs, l’enfant terrible déclara qu’il voulait être libre, il fallut bien le laisser partir. Du reste on aurait tort de croire