compté. Il en a pris bravement son parti, et, à la grande surprise de tous, il n’a pas mené la vie de plaisir et d’enivrement que l’on redoutait pour lui. L’amitié ardente qu’a su lui inspirer Espérance Michelin a marqué pour lui une époque de transformation. Il a longtemps cru que son frère accepterait le partage de sa fortune. L’obstination héroïque et un peu étrange de celui-ci à rester dans l’heureuse médiocrité l’a frappé si vivement qu’il a pris en dégoût la vie de désordre et de paresse. Il a gardé près de lui M. Ferras et n’a pas voulu faire un grand mariage, il a choisi selon son cœur. Il quitte peu sa mère et l’entoure de soins, il la suit avec sa famille dans les fréquens voyages qu’elle fait à Montesparre et à Flamarande. Espérance a si bien arrangé le donjon et le pavillon qu’il y a place pour tout le monde, le père Michelin ayant été vivre dans sa propriété personnelle avec sa famille, qui est aussi dans l’aisance. Michelin est fier d’entendre appeler sa fille la jeune dame de Flamarande, et on prétend qu’il signe quelquefois de Michelin pour illustrer son gendre. — Pourquoi non ? c’est une nouvelle famille aristocratique qui commence.
Gaston aura des enfans très riches, et, comme il les instruit en conscience, ils seront à la hauteur de leur condition. Quant à lui, il ne fera pas fortune par lui-même, il manque absolument d’ambition et n’aime que le travail qui donne des résultats pour le progrès des gens et des choses. On lui reproche de trop vouloir améliorer les races et produire de beaux élèves ; on assure qu’il y dépense trop pour y beaucoup gagner. Il répond gaîment qu’il aime le beau et que le profit n’est pas tout dans les écus. Il passe pour original, et ceux qui ne savent pas le mot de son étrange destinée le chérissent sans le comprendre. Ambroise Yvoine, qui est resté son hôte, son ami, son bras droit, et qu’il a choisi pour parrain de son dernier-né, me dit souvent tout bas : — Il n’y a que nous deux pour savoir ce qu’il vaut !
Roger s’est peu à peu radouci avec moi et me traite avec amitié mais quelque chose s’est brisé mystérieusement entre nous, j’ai dû accepter ce châtiment et reporter sur l’enfant exilé ma tendresse et mon admiration.
J’ai eu quelque peine à en prendre mon parti. Longtemps je me suis ennuyé de ne vivre que pour moi-même ; mais, depuis que j’ai occupé mes loisirs à écrire ma confession générale, je ne suis plus tourmenté par le souvenir du passé, et j’espère qu’un jour, en la lisant, Roger versera quelques larmes sur la tombe de son vieux serviteur.