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par le fait d’un petit nombre d’hommes d’élite que la science et la civilisation progressent ; la multitude suit de loin.

Cet ensemble de conditions favorables à la culture intellectuelle se rencontre au même degré dans les états scandinaves. Ces royaumes du nord, trop peu étudiés en France et pourtant si dignes de nos sympathies, sont les pays de l’Europe où l’instruction est le plus universellement répandue dans toutes les couches de la population, et ils ont depuis deux siècles produit nombre d’hommes éminens, qui se sont illustrés dans toutes les branches des connaissances humaines. Sans parler de Linné ou de Berzelius, dont les noms n’appartiennent pas moins au monde entier, qui les admire, qu’à la Suède, leur patrie, sans parler non plus de ces laborieux déchiffreurs des vieilles inscriptions runiques, dont les travaux ont jeté tant de lumière sur les origines de la race Scandinave, on pourrait, parmi les contemporains, citer des savans du premier mérite, comme l’historien Munk, de Christiania, mort il y a quelques années, l’anthropologiste Nilsson, de Lund, ou le philologue Madvig, de Copenhague. Les universités, non moins florissantes que celles de l’Allemagne, sont de brillans foyers d’où la science rayonne sur le pays tout entier. Le goût des hautes études est si répandu chez les Scandinaves que presque tous les jeunes gens appelés à une situation un peu élevée commencent par mener pendant quelques années la vie d’étudiant. Dispersés ensuite dans les carrières variées de la vie pratique, ils y apportent un fonds de solide instruction et de connaissances qui, une fois acquises, ne se perdent plus. Il en est de même en Allemagne et en Angleterre, et, bien qu’à Oxford ou à Cambridge l’équitation et le canotage occupent la première place dans les études, les Anglais les plus sérieux ne tiennent pas pour perdu le temps qu’ils ont passé à l’université.

C’est là ce qui nous manque le plus. En France, l’enseignement supérieur n’existe pour ainsi dire pas, au moins hors de Paris. On se contente d’avoir fait ses classes ; les dix années qu’on passe sur les bancs du collège ne sont qu’un long entraînement pour arriver au baccalauréat, qui marque la fin des études théoriques. Parmi les facultés, celles de droit et de médecine sont les seules où l’on travaille, parce qu’elles ouvrent la porte de carrières enviées. Les facultés de théologie, si brillantes en Allemagne, ne sont plus chez nous qu’une expression administrative, et cela au grand détriment de l’instruction du clergé. Quant aux facultés des lettres et des sciences, la plupart végètent sans parvenir à grouper autour d’elles des étudians sérieux. D’éminens professeurs voient leurs cours désertés, à moins qu’abandonnant le terrain purement didactique, ils ne prennent le parti d’attirer le public en l’amusant.