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monumens de granit noir qui marquent le petit coin de terre réservé aux membres d’une même nation. Les landsmän que la mort a surpris loin de leur famille reposent sous de paisibles ombrages, et leurs successeurs entretiennent leurs tombes.

A Lund, le lien des nations m’a paru être moins intime qu’à Upsal ; les étudians, qui d’ailleurs sont beaucoup moins nombreux, forment une grande association dite Société académique, où ils trouvent tout ce que les nations leur pourraient offrir. Fondée en 1830, la Société académique (Academiska Föreningen) a construit un vaste et bel édifice de brique, qui s’élève au milieu de la ville, en face de la statue de Tegner et de la vieille cathédrale. Les solennités universitaires se tiennent dans une magnifique aula centrale ; dans les étages supérieurs sont de petites chambres qu’on loue pour un prix modique aux étudians pauvres. — A Upsal, il existe une association analogue, mais à qui les nations font une redoutable concurrence. Le Corps des étudians (Studentkaaren) délivre aussi des stipendia ; il est représenté par une assemblée de tous les curateurs des nations, qui nomment l’un d’eux pour président.

Ce sont ces délégués qui représentent officiellement les étudians vis-à-vis des autres universités, ce sont eux qui préparent ces fêtes périodiques qui réunissent alternativement à Copenhague, à Christiania, à Lund et à Upsal la jeunesse universitaire Scandinave. L’objet de ces réunions est de resserrer les liens qui unissent tous les Scandinaves, et de développer entre les trois royaumes-frères (broderrigerne) le sentiment d’une solidarité que la langue, sinon l’histoire, peut justifier. On peut dire en effet que les idiomes des Danois, des Suédois et des Norvégiens ne sont que des dialectes d’une même langue, qu’on peut désigner du nom de langue Scandinave, de même qu’en parlant de la langue grecque on comprend les dialectes ionien, dorien et attique ; mais historiquement, si les Scandinaves sont frères, il faut convenir qu’ils ont été le plus souvent des frères ennemis. Ce n’est que de notre temps que leurs relations réciproques ont pris un caractère de cordialité véritable. Le panslavisme et le pangermanisme, — deux spectres, dont le second est devenu une douloureuse réalité, — sont les prototypes du scandinavisme. Toutefois les difficultés sont ici plus grandes qu’ailleurs, car chaque état a ses prétentions bien arrêtées ; aucun d’eux n’a pris sur les deux autres une influence comparable à celle de la Prusse en Allemagne, ou même de la Russie sur les Slaves. Causez avec un Norvégien dont l’ombrageux patriotisme ne place rien au-dessus de la « vieille Norvège, » avec un Suédois qui parlera avec émotion de l’époque où Gustave-Adolphe, avec 6,000 hommes, a