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des années, notre pays a besoin de travail, et on ne fera croire ni à la France ni à l’Europe elle-même que c’est nous qui, après des malheurs si grands et encore si récens, pouvons songer à troubler une paix aussi nécessaire pour nous que l’ordre intérieur. Ce serait une erreur égale de supposer la France uniquement occupée de fourbir ses armes ou de la croire follement agitée de ces craintes que les correspondances étrangères lui attribuent. La vérité est que, pour elle, la paix est un acte de raison et de réflexion qui ne ressemble ni à une abdication ni à une faiblesse, pas plus que le recueillement de la Russie après 1856 n’était une faiblesse ou une abdication.

Ce n’est donc pas de la France, même pour cette revanche dont on nous accuse de nourrir la pensée, ce n’est pas de notre pays certainement que peut venir aujourd’hui un signal de guerre. Est-ce l’Allemagne qui prendrait l’initiative ? Après tout, il faudrait une cause ou un prétexte, et, à défaut d’une cause saisissable, il faudrait au moins un intérêt pressant, impérieux. Où est cet intérêt ? Que des Allemands aient vu avec une certaine surprise mêlée de dépit et d’amertume la promptitude avec laquelle la France s’est reprise à la vie, c’est possible, on nous fait cette confidence, et on dit aussi qu’en présence du rétablissement imprévu de nos forces des militaires de Berlin expriment tout haut le regret que la victoire de 1870 n’ait point été poussée plus loin. A leurs yeux, la paix de Francfort aurait été insuffisante, la France se relève trop vite, elle est trop riche, trop prospère ; d’ici à quelques années, si l’on n’y prend garde, elle se retrouvera aussi forte qu’autrefois, elle aura refait son organisation militaire, et alors elle pourra engager avec des chances nouvelles la guerre de revanche qu’elle médite sans cesse. Mieux vaudrait en finir tout de suite, sans plus attendre, se jeter de nouveau sur la France avec ou sans prétexte, et la réduire à l’impuissance pour longtemps ! C’est un raisonnement assez soldatesque que peuvent se permettre tout au plus des militaires enivrés de succès. Le peuple allemand et les politiques qui le dirigent n’en sont pas là, nous le supposons. Ainsi voilà deux nations puissantes, qui ont été en lutte, celle qui a été vaincue a subi toutes les conditions, elle a payé ce qu’on lui a demandé, elle a rempli jusqu’au bout les engagemens les plus rigoureux, elle s’interdit jusqu’à une apparence d’hostilité : n’importe, il serait permis de rouvrir la guerre contre elle sous prétexte qu’elle n’a point été assez abattue et qu’elle pourrait un jour ou l’autre devenir dangereuse ! À ce prix-là, quelle est la nation qui ne serait pas menacée ? quelle indépendance serait à l’abri ?

L’Allemagne est certainement la première intéressée à désavouer des idées qui la rendraient immédiatement suspecte à l’Europe entière. En définitive, elle a besoin de la paix comme tout le monde. Elle a réalisé par une étonnante fortune une œuvre nationale qu’elle osait à peine