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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/479

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troublées par les violences de partis, par les rivalités et les ambitions, mais où il y a la générosité des idées, la chaleur des convictions, la sève des talens !

C’est l’époque où sous la forme de la monarchie constitutionnelle un régime de garanties libérales a été le plus près de devenir une réalité définitive, et si cette réalité n’a été qu’un rêve de trente-quatre ans, ceux qui ont eu un rôle dans la grande période parlementaire peuvent en dire les raisons. Ils peuvent montrer ce qu’ont été ces régimes de la restauration, du gouvernement de 1830, qui en réunissant tout ce qui devait les faire durer, en assurant au pays la paix et la possibilité de tous les progrès libéraux, ont disparu à dix-huit années d’intervalle dans des crises à peu près semblables. Les Mémoires de M. Odilon Barrot qu’on publie aujourd’hui ont le mérite d’ajouter une page de plus à cette histoire toujours profondément instructive ; ils peignent l’homme et le temps. Avocat du parti libéral sous la restauration, combattant de 1830, préfet de Paris après juillet, député, chef d’opposition pendant le règne de Louis-Philippe, ministre de quelques heures au 24 février 1848, président du conseil d’état depuis 1870, M. Odilon Barrot s’est trouvé mêlé à tout ; il a été, à vrai dire, un des éminens personnages de son époque moins par le pouvoir qu’il a eu l’occasion d’exercer que par l’autorité morale de son caractère et de son talent.

C’est à coup sûr un des hommes qui ont déployé dans la vie publique le plus d’honnêteté, d’élévation de sentimens et de droiture, c’est aussi un de ceux qui ont eu le plus de naïveté et d’illusions. Conservateur, il l’a été quand il a fallu, lorsqu’il est devenu un moment président du conseil après 1848. Au fond, c’est l’ami de Lafayette, le chef d’opposition dans toute sa candeur. Il semble né pour ce rôle, auquel il a été fidèle avec honneur, qu’il continue avec une sorte d’ingénuité jusque dans ses Mémoires. M. Odilon Barrot a eu la singulière et triste fortune d’accompagner le roi Charles X à Cherbourg en 1830, et de ne pouvoir sauver la couronne du roi Louis-Philippe le 24 février 1848. Il raconte ce qu’il a fait à ces deux époques, les mêlées parlementaires auxquelles il a pris part dans l’intervalle, les crises ministérielles, les conflits d’ambitions. Les portraits qu’il trace ne sont pas sans malice, les scènes qu’il décrit sont représentées d’une manière un peu sommaire. Partout dans ces pages se retrouve ce mélange d’illusions et de droiture qui est l’originalité de l’homme, qui caractérise le chef d’opposition persuadé qu’il ne s’est jamais trompé, que, si on l’avait écouté, tous les malheurs auraient pu être conjurée. M. Odilon Barrot était de ceux qui ne changent pas, qui sont immuables dans leurs idées et dans leur rôle. Même après les déceptions, dans le silence du second empire, il ne peut se détacher de ses vieilles impressions en reprenant tous ses discours d’autrefois sur la presse ou sur le jury, sur les incompatibilités parlementaires ou sur