Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

divers de la même loi. Le raskol est trop récent, un trop grand nombre de ses adhérens appartient aux classes rurales, pour qu’une semblable adaptation soit aussi marquée et aussi générale chez les raskolniks. Ce qu’on peut assurer, c’est que chez eux l’esprit positif, les qualités mercantiles du Grand-Russe se sont d’autant mieux manifestés que pour être libres ils avaient besoin d’être riches. La corruption de l’ancienne administration russe les contraignait à recourir à la clé d’or qui ouvrait toutes les portes. Les premiers peut-être en Russie, les starovères ont compris que l’argent pouvait être une sauvegarde et la fortune une force ; les premiers, ils ont demandé l’émancipation à la richesse.

La prospérité mercantile des vieux-croyans se peut rapprocher de celle de plusieurs sectes protestantes en Angleterre et aux États-Unis. Il est des formes religieuses à principes simples, à morale sévère, parfois même morose, qui conviennent à certaines classes sociales et à une certaine médiocrité de culture, des doctrines pour ainsi dire bourgeoises qui vont facilement à l’esprit du marchand ou de l’homme d’affaires, et mènent à la fortune par un chemin plus régulier et plus sûr. Chez les raskolniks, comme chez le puritain, le quaker ou le méthodiste, chez le Grand-Russe comme chez l’Anglo-Saxon, l’esprit pratique s’allie fort bien à l’esprit théologique, et le sens des affaires aux illusions religieuses. Dans les villes, dont l’accès ne leur a été officiellement rouvert que sous Catherine II, les dissidens comptent parmi les plus riches de ces marchands russes dont souvent l’énorme fortune rivalise avec celle des négocians américains. À Moscou, la capitale commerciale et financière de l’empire, beaucoup des plus belles maisons, beaucoup des plus vastes usines appartiennent à des raskolniks. À Perm et dans l’Oural, la région des mines et des forges, les vieux-croyans se sont rendus maîtres d’une grande partie des transactions. La richesse s’est si vite accumulée dans leurs mains que sous l’empereur Nicolas un écrivain officieux assurait qu’une portion considérable des capitaux russes se trouvait au pouvoir des schismatiques[1]. Les appréhensions de quelques esprits ont été jusqu’à craindre de la part du raskol une sorte d’accaparement des affaires ou de monopole financier tel qu’ailleurs on en a souvent redouté de la part des Juifs : de semblables terreurs étaient singulièrement exagérées. Ce qui est vrai, c’est qu’au XIXe siècle la force principale du schisme a été dans la bourse. L’argent est devenu le nerf du raskol, l’argent a joué le premier rôle dans les moyens de défense et les moyens de propagande des raskolniks.

Grâce au soutien que se prêtent les uns aux autres les dissidens,

  1. Mémoire de Molnikof pour le grand-duc Constantin, Sbornik prav. svéd. o rask., t. Ier, p. 182 et 192.