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aux nudités païennes, avait sa place dans le musée de ce disciple des fanatiques adversaires de l’Europe et de Pierre le Grand. Un seul trait dénotait le vieux Russe toujours vivant au fond du vieux-croyant : ces toiles si variées étaient toutes d’un pinceau russe ; c’était une galerie nationale, et nulle part, pas même peut-être dans les collections publiques de Pétersbourg ou de Moscou, on ne pouvait mieux étudier l’école russe contemporaine. »

Tels sont aujourd’hui ces riches vieux-croyans, en cela du reste semblables à beaucoup de riches marchands de Moscou : ils ont le luxe et le superflu de notre civilisation sans toujours en avoir le fond et l’essentiel. Pour que chez de telles familles l’ancienne foi fût un obstacle insurmontable au progrès, il faudrait qu’elle les isolât dans un monde fermé. Ces hommes que la fortune a conduits au seuil de la culture resteront-ils dans le raskol ? Peut-être les fils de ces marchands, qui à chaque génération se dépouillent de quelques-uns des préjugés de leurs pères, sortiront-ils du schisme en sortant de l’étroit cercle d’idées où le schisme est né. Il y a déjà eu des exemples de semblables conversions. Peut-être les vieux-croyans arrivés à la civilisation pourront-ils renoncer aux coutumes et aux préventions du raskol sans renier le culte de leurs ancêtres. Ce ne serait pas la première fois que les fidèles d’une religion changeraient de mœurs et de manière de voir sans changer de religion. Ce qu’il y a de certain, c’est que la fortune, qui pour le schisme a été le principe d’une émancipation sociale, sera en même temps pour lui le principe d’une émancipation intellectuelle ; l’argent n’aura pas seulement aidé les vieux-croyans à s’affranchir des entraves et des vexations administratives ; il contribuera à les délivrer des entraves spirituelles de leur propre culte. Après avoir été pour le raskol une force momentanée, l’aisance et le bien-être seront à la longue une cause de faiblesse pour les doctrines et les principes du raskol. Les hommes ne s’enrichissent pas impunément ; c’est la richesse qui par les lumières de l’instruction, qui par les jouissances de la civilisation, adoucira et pour ainsi dire apprivoisera les vieux-croyans ; grâce à elle, le schisme devra se tempérer, se mitiger, ou il devra périr.

Ce résultat est encore éloigné : chez ces opulens raskolniks comme chez la plupart des marchands russes, la fortune a de longtemps précédé l’instruction. Ce n’est point que les dissidens soient plus ignorans que leurs compatriotes orthodoxes. Pour l’instruction comme pour la moralité et le bien-être, les schismatiques l’emportent souvent sur les autres Russes de même classe. Parmi ces dévots du rituel, parmi ces sectateurs du passé, l’homme qui ne sait pas lire est notablement plus rare que dans la masse du peuple russe. Les vieux-croyans ont un grand goût pour l’instruction