on s’est servi du slavon pour combattre ces sectes modernes et populaires. À cette prédilection pour la langue morte, pour la langue liturgique aux dépens de la langue vivante, de la langue nationale, se reconnaît l’opposition primitive du raskol et du protestantisme. Chez les vieux-croyans, l’amour des vieux usages s’étend aux procédés de l’écriture comme aux formes des lettres et de la langue ; aux ouvrages imprimés, ils préfèrent les ouvrages copiés à la main. Dans leurs skites ou ermitages, hommes et femmes transcrivent avec révérence les manuscrits fautifs du vieux temps, et, comme les moines du moyen âge, les moines du raskol mettent leur gloire à calligraphier les saints livres. Les raskolniks ont des livres, ils ont des hommes d’une grande lecture, ils n’ont pas de science. Des subtilités recherchées, des compilations sans critique leur en tiennent lieu. Cette fausse science, cette sorte d’ignorance érudite, d’ignorance surchargée de faits mal vérifiés et de mots mal compris, est peut-être plus nuisible qu’une ignorance illettrée, parce qu’elle se fait plus aisément illusion. Le schisme a sa littérature, il a sa prose et sa poésie, l’une et l’autre souvent intéressantes, comme toute littérature populaire, mais également vides d’idée et de vrai savoir. Avec ses disputes stériles et ses naïves méthodes d’argumentation, le raskol s’est fait une sorte de grossière scolastique, menaçant ainsi la Russie moderne d’un mal dont l’avait au moyen âge préservée l’entière ignorance.
Dans le domaine religieux, comme ailleurs dans le domaine politique, l’instruction, du moins l’instruction élémentaire, la seule universellement accessible, n’est pas pour le peuple une panacée d’un usage aussi sûr que les hommes se sont plu longtemps à le croire. Au lieu de les étouffer immédiatement, une instruction nécessairement imparfaite et inégale aide souvent au début à propager les erreurs théologiques, comme les erreurs politiques et économiques. Ces connaissances rudimentaires, cette ignorance lettrée ne redressent guère plus les rêveries mystiques ou les fantaisies religieuses qu’ailleurs elles ne corrigent les utopies socialistes et les sophismes révolutionnaires. L’homme qui sait lire est partout plus enclin à se faire lui-même sa foi politique ou religieuse, ici d’après la Bible, là d’après le journal. On a remarqué que le mougik sachant lire est plus exposé à tomber dans les sectes ; récemment encore, en rendant compte des statistiques judiciaires, le Messager officiel russe constatait que l’éducation, qui diminue les délits contre les mœurs et contre les personnes, augmente la propension aux délits contre la religion et contre l’ordre établi. En Russie comme ailleurs, il n’en est pas moins vrai que, pour s’élever au-dessus des illusions d’une instruction rudimentaire, le seul moyen est de monter un échelon de plus vers l’instruction. Entre l’instruction et la