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solennellement, mais soulèvent à chaque fois un fleuve d’eau. A Buffalo, on a ouvert hardiment un puits au milieu de la rivière Niagara, sur les rapides naissans, et nous laissons à penser quels obstacles il a fallu vaincre. Du fond de ce puits se détache un tunnel qui amène les eaux à l’aplomb du bord de la rivière, où elles sont pompées par un autre puits. Chicago a la première creusé un tunnel sous-lacustre ; Buffalo, riveraine du lac Erié, a voulu avoir le sien.

Les pompes d’alimentation de la cité ne sont pas la seule merveille que Buffalo étale à l’œil surpris du visiteur. Il faut mentionner encore le « pont international, » tout en fer et à treillis, au tablier horizontal, du type des ponts « américains. » Il a plus de 1,200 mètres de long ; il a été jeté sur la rivière Niagara pour le passage des trains qui touchent à Buffalo et vont dans le Canada ou réciproquement. Ce hardi travail a été achevé il y a dix-huit mois à peine. Auparavant il fallait rejoindre le fameux pont suspendu jeté sur les chutes, ce qui, dans la plupart des cas, augmentait inutilement le parcours. Une partie du tablier du pont de Buffalo peut tourner autour des piles qui la supportent, et ceci était nécessaire pour que la navigation ne fût pas interrompue. Il est curieux de voir avec quelle facilité se fait cette délicate manœuvre au moyen d’un cabestan à vapeur. Le tablier, comme les plaques tournantes des chemins de fer, roule lentement autour de son axe sur des galets mobiles inférieurs, noyés dans les piles ; le pont s’ouvre peu à peu, le navire passe, et le tablier se referme. La longueur totale de la partie tournante est de 50 mètres. Ce pont gigantesque, vu des rives, est d’une grande élégance ; il est léger et solide à la fois. Il a été construit par une compagnie mi-partie canadienne et américaine, et n’a coûté que 7 millions 1/2 de francs. Huit chemins de fer y passent ; on a ménagé sur les accotemens un trottoir pour les piétons.

La rivière Niagara, qui commence à Buffalo, mène aux célèbres chutes. Déjà à Buffalo le courant indique par ses allures agitées des rapides prochains. Tout à coup, à peu près sur les deux tiers du parcours de la rivière, qui en cet endroit se divise en deux branches, est un saut de 50 mètres par où le lac Erié se précipite dans le lac Ontario. Ces chutes sont les plus volumineuses, sinon les plus hautes que l’on connaisse, et la force des eaux y est telle qu’elle suffirait à mettre en mouvement toutes les roues hydrauliques, toutes les machines qui fonctionnent dans l’univers. Quand on a mis quelque temps à les considérer, on est fasciné par ce spectacle, on ne peut plus s’en arracher. Le mugissement formidable, la teinte verdâtre et transparente des ondes, l’écume blanchâtre qui les recouvre, au milieu de laquelle se joue en une double couronne l’écharpe aux sept couleurs de l’arc-en-ciel, tout vous retient immobile, abîmé dans une sensation unique, toujours la même et néanmoins toujours