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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/57

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qu’il faut souvent plusieurs jours de marche pour aller de leur extrémité à leur centre. Avec une population aussi dispersée, avec des chemins rendus fréquemment impraticables par le dégel ou des gelées incomplètes, la fréquentation régulière de l’église était hors de la portée d’un grand nombre de fidèles. Les habitans allaient rarement à la paroisse, quelques-uns s’y rendaient à peine deux ou trois fois dans leur vie. Les actes les plus solennels de la vie ne se pouvaient pas toujours célébrer avec l’assistance du prêtre. Dans la galerie du riche starovère que nous décrivions tout à l’heure est un tableau représentant un enterrement dans ces régions du nord. Sur un traîneau de paysan, au milieu d’une campagne blanche de neige, une femme conduit à quelque lointain cimetière une bière de bois. C’est là une image de la sombre existence de ces vastes régions où, avant d’être rejeté théoriquement, le prêtre avait été rendu pratiquement inutile ou inaccessible par la distance. Au fond de ces solitudes, les hommes réunis en petits groupes étaient obligés de se suffire en tout à eux-mêmes, obligés de pourvoir à leurs besoins spirituels comme à leurs besoins matériels. Dès avant l’explosion du schisme, les paysans se construisaient des oratoires où ils lisaient et chantaient des prières ensemble, les plus instruits enseignant les autres. La bezpopovstchine était ainsi sortie des mœurs avant d’être érigée en doctrine. Des écrivains russes de différentes écoles, Khomiakof et Kelsief entre autres, ont attribué cette prédominance des bezpopovtsy dans le nord de la Russie à l’influence des peuples protestans du nord de l’Europe. Ce n’est là qu’une inutile hypothèse. Le raskol, dans sa branche la plus radicale comme dans son point de départ, est essentiellement indigène, autochthone ; il est sorti tout entier des habitudes et des mœurs locales. À Novgorod même, les strigolniki professaient dès le XIVe siècle des doctrines fort analogues à celles des bezpopovtsy actuels et rejetaient l’autorité du clergé longtemps avant les apôtres de la réforme.

Il serait d’un haut intérêt d’avoir une représentation graphique, une carte du raskol. Aucun pays peut-être n’aime autant que la Russie à se figurer lui-même aux yeux, aucun ne s’est retracé sous plus d’aspects et ne possède plus de cartes de son propre territoire, plus d’atlas physiques ou politiques, agricoles ou industriels. Sur les atlas où sont représentés les différens cultes, les dissidens russes sont d’ordinaire confondus avec les orthodoxes. Dans ces deux ou trois dernières années, on a au bureau de statistique dressé un projet de carte du raskol qui n’a pas, croyons-nous, été publié. Sur cette carte, Moscou apparaît naturellement comme le centre religieux, la métropole ecclésiastique du schisme moscovite. Autour de la vieille capitale, la masse des raskolniks décrit une