Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/573

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
III. LES MINES DE MARQUETTE.

Un soir du mois de juillet 1874, je prenais le chemin de fer à Chicago pour me rendre aux mines de fer de Marquette, sur la rive méridionale du Lac-Supérieur. Le lendemain, au petit jour, nous saluions le lac Winnebago, ainsi appelé du nom de la tribu indienne qui habitait naguère ces régions. Oshkosh est gracieusement assise sur les bords du lac[1]. De là on se dirige sur Green-Bay, où réapparaissent les eaux du lac Michigan, claires et bleues, et dont le fond, comme celui de tous les lacs américains, est visible à une très grande profondeur. Jusqu’ici, depuis Chicago, on n’a traversé que champs de blé et de maïs qui s’étendent à perte de vue, des fermes, des villages à chaque pas, des prairies où paissent en liberté de nombreux troupeaux. A partir de Green-Bay, le pays change d’aspect, et les traces de colonisation deviennent de moins en moins apparentes. Aux champs cultivés, à la terre arable, succèdent les forêts de pins, çà et là coupées, défrichées ou brûlées, et laissant voir un sol sableux, sec, rougeâtre. Les fermes sont remplacées par des scieries, presque toutes à vapeur, et le bois de ces forêts est envoyé à Chicago, à Milwaukee, après avoir été débité en planches, en bardeaux, en madriers, en poutres.

Les incendies qui ont désolé le Wisconsin en 1871 ont laissé en ces lieux des traces ineffaçables. Les bois ont pris feu sur des étendues immenses, et l’on voit encore des espaces considérables où se dressent de distance en distance des lignes de troncs noirs, tout calcinés, témoins toujours debout de ces vastes conflagrations. À cette époque, Chicago disparaissait elle-même dans les flammes, de sorte que l’on ne prêta qu’une oreille distraite au récit des lamentables désastres qui éclatèrent dans les forêts wisconsines, et qui étaient, eux aussi, sans précédens. Non-seulement les bois s’allumèrent sur des milliers d’hectares, mais des villages tout entiers disparurent, un entre autres, Peshtego, sur lequel vint s’abattre une langue de feu. L’événement est inouï. Du fond des forêts enflammées, on vit s’avancer un noir tourbillon avec un bruit qui rappelait celui d’un cyclone. Les populations émues étaient accourues ; chacun se demandait avec anxiété quel pouvait être cet étrange météore. Tout d’un coup la nuée crève, s’abat et balaie les maisons et les hommes dans un impitoyable courant igné. Peshtego ne s’en est pas relevé, et l’on y voit toujours les traces de l’incendie du 8 octobre 1871. Comment expliquer l’ouragan de feu ? La nuée sinistre voyageait probablement comme une montgolfière. La flamme qu’elle emportait

  1. Un épouvantable incendie vient de détruire cette ville de fond en comble (29 avril 1815).