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complètement imprégné, ne puisse absorber les nouvelles pluies, et qu’il se produise alors des débordemens. C’est en effet ce qu’on observe dans les vastes forêts marécageuses de l’Amérique et de l’Afrique équatoriale, où les eaux tombées pendant la saison des pluies, ne pouvant s’écouler assez rapidement, restent à l’état stagnant et couvrent le sol jusqu’au retour du beau temps. Ainsi une trop grande étendue de forêts peut occasionner des effets analogues à ceux que produit une absence complète de bois, et c’est là une cause de confusion qui n’a pas encore été suffisamment signalée.

Nous n’ignorons pas que cette influence des forêts sur le régime des eaux, telle que nous venons de l’exposer, n’est pas admise par tous les observateurs, et qu’il s’en trouve beaucoup, et de fort éminens, qui la contestent, au moins dans une certaine mesure. Nous ne parlerons pas de ceux qui, comme M. Vallès, ont fait des travaux de circonstance, et n’ont eu d’autre but, en publiant leurs ouvrages, que de donner une apparence scientifique aux argumens par lesquels M. Fould a cherché en 1865 à justifier son projet d’aliénation des forêts de l’état[1]. On se rappelle comment ce projet fut accueilli par l’opinion publique, et comment la presse entière se prononça contre une mesure qui eût ajouté des ruines de plus à toutes celles que l’empire nous a laissées[2]. Devant cette opposition énergique, le gouvernement dut retirer son malencontreux projet. Mais nous avons à répondre à d’autres ouvrages d’une portée plus sérieuse, et qui n’ont pas été faits pour les besoins d’une cause. Dans le beau livre qu’il vient de publier[3], l’éminent ingénieur de la ville de Paris, M. Belgrand, consacre un chapitre tout entier à l’examen de la question qui nous occupe, et, s’il ne nie pas d’une manière absolue que les forêts exercent une influence sur le régime des fleuves, du moins pense-t-il qu’elle est très peu sensible. Divisant les terrains en terrains perméables et en terrains imperméables, il admet que les inondations ne se produisent que lorsque de grandes pluies accompagnent la fonte des neiges. Dans les terrains imperméables, l’eau ruisselle à la surface, se précipite dans le fond des vallées et provoque une crue dans le cours d’eau ; si les crues se produisent simultanément dans tous les affluens d’un fleuve, le débordement de celui-ci devient inévitable. Dans les terrains perméables au contraire, l’eau s’infiltre dans le sol et ne reparaît à la surface que lorsqu’après avoir rencontré une couche

  1. De l’Aliénation des forêts, au point de vue gouvernemental, financier, climatologique et hydrologique, par M. Vallès, ingénieur en chef des ponts et chaussées.
  2. Voyez, dans la Revue du 1er mars 1866, l’étude sur l’Aliénation des forêts de l’état.
  3. La Seine, études hydrologiques sur le régime de la pluie, des sources et des eaux courantes, par M. Belgrand, membre de l’Institut.