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guerre avec l’Autriche, si, en avant des bataillons autrichiens, marchait le métropolite Cyrille revêtu des anciens vêtemens patriarcaux ! En donnant la bénédiction avec la croix à huit branches, il ferait à la Russie cent fois plus de mal que les canons autrichiens[1]. » Ces terreurs étaient aussi exagérées que les calculs des fauteurs étrangers de la nouvelle métropolie. Les défenseurs des vieilles mœurs russes, les représentans outrés du principe national, ne pouvaient faire cause commune avec les ennemis de la Russie, avec les latins de l’Occident. On le vit pendant la guerre de Crimée en dépit des intrigues reprochées à quelques dissidens isolés. Sourde aux suggestions des promoteurs de la hiérarchie schismatique, la masse des vieux-croyans demeura tranquille, inerte, les plus mécontens attendant le jugement de Dieu, vieux-croyans et cosaques n’oubliant pas que le Turc, frère du Tatar, était l’ennemi traditionnel de la sainte Russie. La Porte ne trouva quelques auxiliaires que parmi les petites colonies starovères établies sur son territoire.

Comme toutes les classes de la nation, les vieux-croyans ont partagé l’espoir suscité en Russie par l’avènement de l’empereur Alexandre II. Dans leur confiance, les anciens du cimetière de Rogojski invitèrent le métropolite Cyrille à venir en Russie visiter son troupeau. À l’aide d’un déguisement et d’un faux passeport, grâce à l’ignorance ou à la secrète connivence de l’administration, le pontife de Bélokrinitsa se rendit à Moscou au commencement de l’année 1863. Sous la présidence du pseudo-métropolite se tint aux portes de la seconde capitale de l’empire un concile général, un concile œcuménique, comme disaient les sectaires, des évêques et des délégués de toutes les communautés starovères de Russie. Dans ce concile de marchands, de moines et de prêtres fugitifs furent arrêtés les statuts de la nouvelle hiérarchie. Le schisme, enfin pourvu d’un épiscopat, semblait s’être définitivement constitué en église une et autonome, lorsque des querelles intestines menacèrent de déchirer cette unité si péniblement renouée. Ici, comme dans toutes les affaires humaines, une difficulté et une cause de division éloignées, il en surgit immédiatement d’autres. En retrouvant un clergé indépendant, les vieux-croyans de Rogojski se trouvèrent subitement en face de résistances et de prétentions inattendues de la part de leur nouveau clergé. Les laïques, habitués à régner en maîtres dans leur église, ne rencontrèrent point toujours dans leur hiérarchie improvisée la même docilité que jadis chez les prêtres transfuges de l’orthodoxie officielle. Le concile de Rogojski ayant décidé la nomination d’un prélat qui fût en Russie le vicaire du

  1. Ainsi s’exprime un mémoire russe rédigé pour le grand-duc Constantin par Melnikof, Zapiska o rousskom raskolé, Sbornik prav. svéd, o rask, t. I, p. 193.