Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

métropolite de Bélokrinitsa, le nouveau chef de l’église, déjà avare de ses pouvoirs, se montra peu disposé à les déléguer à un représentant permanent. De là un conflit de l’autorité métropolitaine et du concile qui exposa la popovstchine à peine pacifiée à de nouvelles divisions, à de nouveaux schismes.

Les événemens extérieurs vinrent donner au débat une autre direction. Le concile starovère siégeait encore qu’éclatait l’insurrection polonaise de 1863. On sait quelle influence exerça sur la politique russe ce déplorable mouvement ; on sait quelle exaltation du sentiment national provoquèrent dans tout l’empire les téméraires revendications des Polonais et les menaces d’intervention de l’étranger[1]. Toutes les vues ; toutes les situations de partis se trouvaient subitement changées ; les vieux-croyans éprouvèrent le contre-coup de l’émotion générale. Soit entraînement patriotique, soit calcul politique, les chefs laïques de Rogojski tentèrent de se rapprocher du gouvernement. Pour éviter tout soupçon de connivence avec les ennemis de l’empire, les marchands moscovites proposèrent à leur concile le renvoi du métropolite étranger et l’abandon momentané de tout rapport avec Bélokrinitsa. Cyrille dut quitter la Russie, et l’on vit ces vieux-croyans, depuis deux siècles en lutte avec les tsars, envoyer à l’empereur une adresse pour l’assurer de leur dévoûment au trône et à la patrie. Dans la situation critique où semblait être l’empire, une pareille initiative de la part des plus purs représentans du vieil esprit russe ne pouvait manquer d’être bien accueillie. Les starovères en furent récompensés par une plus large tolérance. Dans leur désir de réconciliation, les chefs de Rogojski ne s’en tinrent pas à leur adresse à l’empereur ; la même année, ils envoyèrent à tous les enfans « de la sainte église apostolique, catholique des vieux-croyans » une lettre circulaire ou encyclique où les doctrines du schisme étaient présentées sous le jour le plus acceptable pour l’église et pour l’état. « Les vieux-croyans du rite sacerdotal, disait l’encyclique, s’accordent en toute chose sur le dogme avec l’église gréco-russe ; ils adorent le même Dieu, le même Jésus-Christ, et sont en réalité beaucoup plus près de cette église que des sectes qui rejettent le sacerdoce. » La circulaire flétrissait les révolutionnaires, les ennemis de la religion et de la patrie, « les fils de l’impie Voltaire ; » elle déclarait en terminant que l’église officielle et l’église des vieux-croyans, d’accord toutes deux sur le fond des dogmes, pouvaient vivre côte à côte avec une mutuelle tolérance et fraternité chrétienne.

Un tel langage tenu par les descendans des forcenés qui

  1. Voyez à ce sujet, dans la Revue du 15 mars 1866, l’étude de M. Charles de Mazade sur la Société et le gouvernement russe depuis l’insurrection polonaise.