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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/702

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LES
INQUIETUDES RECENTES
DE L'ALLEMAGNE

Au mois de mai 1851, M. de Bismarck, nommé depuis peu premier secrétaire de la représentation prussienne près la diète germanique, écrivait à quelqu’un qui possédait toute sa confiance que Francfort lui paraissait un séjour mortellement ennuyeux, que les plénipotentiaires des divers états de l’Allemagne y passaient leur temps à s’observer, à s’espionner les uns les autres, que chacun d’eux soupçonnait son voisin d’être plein de pensées profondes, de projets cachés, et que le voisin n’avait pas de peine à défendre son secret contre les curieux, par l’excellente raison qu’il n’en avait point. « Ces gens-là, poursuivait-il, se tourmentent l’esprit pour de pures fadaises, et ces grands diplomates, qui débitent d’un air d’importance leur bric-à-brac, me semblent beaucoup plus ridicules que tel député de la seconde chambre se drapant dans sa dignité. S’il ne survient des événemens extérieurs, je sais dès aujourd’hui sur le bout du doigt ce que nous aurons fait dans deux, trois ou cinq ans, et ce que nous pourrions expédier en vingt-quatre heures, si nous voulions être sincères et raisonnables un jour durant. Je n’ai jamais douté que ces messieurs ne fissent leur cuisine à l’eau ; mais un potage si aqueux qu’il est impossible d’y découvrir un œil de graisse ne laisse pas de m’étonner. » Il ajoutait quelques semaines plus tard, dans un nouvel accès de spleen, que s’évertuer, se tracasser, s’intriguer sans savoir pourquoi, était un passe-temps indigne d’un homme sérieux, et que, n’étaient les affections de famille qui le rattachaient à la vie, il la quitterait volontiers « comme on quitte une chemise sale. »

L’Allemagne ne mérite pas aujourd’hui les reproches que lui adressait autrefois M. de Bismarck. Elle ne fait plus « sa cuisine à l’eau, »