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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/706

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pour satisfaire ses ambitions politiques. Ces sacrifices, elle ne les regrette point ; mais elle n’est pas portée à s’en imposer de nouveaux à la légère. Elle s’est étonnée de voir que l’énorme contribution levée sur le vaincu n’avait pas profité à son bien-être. Les Allemands ont vu couler devant eux un fleuve d’or, et, comme le rat de La Fontaine, ils peuvent dire pour la plupart : Nous n’y bûmes point. Une notable partie de ces milliards a été employée à reconstituer le trésor de guerre, à payer des pensions, à rebâtir des forteresses, à fondre des canons, à réorganiser l’armée ; la nation se demande où s’est englouti le reste, et comment s’explique la crise financière dont elle a pâti, la pénurie d’argent coïncidant avec le renchérissement de toutes choses, ce singulier phénomène d’un vaincu jouissant d’une situation plus prospère que son vainqueur. L’Allemagne a conclu de l’expérience qu’elle vient de faire que la guerre est un mauvais moyen de s’enrichir, que le commerce, l’industrie, le travail, sont des ressources plus sûres pour un peuple. Ses économistes lui promettent que le malaise dont elle souffre ne durera pas, qu’elle recueillera plus tard les bénéfices économiques de ses victoires, comme elle en a recueilli les avantages politiques. Elle ne demande pas mieux que de les en croire, mais en attendant elle désire travailler, et à cet effet elle veut avoir la paix, et surtout croire à la paix, car sans confiance point d’affaires. Aussi les bruits de guerre qui ont couru récemment l’ont-ils consternée, et quand elle a découvert qu’on l’avait inquiétée sans sujet, elle a laissé éclater son indignation contre les journaux alarmistes ; ils ont fort à faire de se défendre contre les anathèmes dont on les accable. Une revue estimée de Berlin, die Gegenwart, a demandé qu’ils fussent condamnés à encadrer et à mettre sous verre les désaveux qu’ils ont dû s’infliger à eux-mêmes, qu’on obligeât leurs rédacteurs à relire chaque matin leur sentence pour leur ôter l’envie de rallumer leurs brandons. Cette même revue, prenant vivement à partie « une demi-douzaine de professeurs plus ou moins chauvins, » qui avaient trouvé l’occasion bonne de mettre flamberge au vent, s’exprime à leur sujet en ces termes : « Nous avons, cela va sans dire, le plus profond respect pour la science allemande ; mais nous tenons que le cordonnier ne doit s’occuper que de monter ses souliers sur la forme. Autrement nous recommanderions éventuellement la méthode des Espagnols, qui ont expédié leurs professeurs aux îles Canaries. Nous n’avons pas d’îles ; mais il nous serait facile de trouver quelque endroit propice aux cures d’air pour y installer ceux de nos universitaires qui ont des goûts belliqueux. »

Le seul moyen de ranimer les fureurs guerrières des Allemands serait de leur persuader que la France médite et prépare secrètement sa revanche. Il ne manque pas de gens qui s’appliquent à le leur faire croire ; jusqu’aujourd’hui, ces ingénieux et insidieux démonstrateurs ont perdu