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leurs peines. Il y a beaucoup d’hommes sensés en Allemagne, et il leur paraît assez naturel que la France, qui n’a plus de frontières, croie devoir à sa sûreté de se refaire une armée, d’autant que le traité de Francfort ne lui interdit point d’en avoir une. Ils savent que la réorganisation de cette armée est une œuvre de longue haleine, que ce n’est ni demain ni après-demain qu’elle sera en état d’entrer en campagne. Ils savent aussi que la France a de bonnes raisons de s’attacher à une politique pacifique. Nous avons sous les yeux une étude sur les finances françaises qui a paru dernièrement à Berlin[1]. L’auteur, dont l’impartialité mérite d’être louée, s’est livré à un examen consciencieux des nouvelles conditions d’existence que ses malheurs ont faites à la France. Il rend hommage aux étonnantes ressources qu’elle a déployées dans de fatales conjonctures, à la facilité avec laquelle elle est parvenue à s’acquitter des charges écrasantes qui pesaient sur elle, à la puissance de son crédit, à l’habileté qui a présidé, toutes réserves étant faites, aux opérations destinées à lui permettre d’anticiper ses paiemens ; mais il remarque aussi qu’elle ne pourrait renouveler sans péril de si grands efforts, que parmi les nouveaux impôts votés par l’assemblée nationale il en est de pernicieux, qui à la longue risqueraient de compromettre le développement de ses forces productives, et qu’il importe de les réduire ou de les supprimer le plus tôt possible. Sa conclusion est que la France, malgré ses défaites, malgré les 9 milliards que lui a coûtés la guerre, malgré la diminution de son territoire, dispose encore de moyens d’action considérables, que cependant elle a désormais un déficit important à combler, que l’excédant annuel de 1 milliard 500 millions ou de 2 milliards qu’elle produisait en 1870 sera employé pendant un certain nombre d’années à rétablir sa situation, que pendant tout ce temps elle travaillera non à s’enrichir, mais à réparer ses pertes, qu’il lui faudra peut-être dix ans pour se retrouver telle qu’elle était avant ses désastres. Il ne peut s’empêcher de voir dans un tel état de choses une garantie sérieuse de la paix. — « La France, ajoute-t-il, ne s’est pas appauvrie ; mais, par la perte d’une partie de ses ressources en argent comptant et par la tension excessive des ressorts de l’impôt, elle est assez paralysée, pour ne pouvoir aujourd’hui entreprendre une guerre sans porter le trouble d’une manière durable dans toute son économie financière, sans provoquer une crise qui causerait de vives souffrances à toutes les couches de sa population et compromettrait irréparablement la prospérité nationale. Pour faire et pour préparer, la guerre, il faut qu’un peuple n’ait pas seulement une armée en état, mais qu’il puisse disposer en peu de temps de sommes considérables. Non-seulement la

  1. Die Finanzen Frankreichs nach dem Kriege von 1870-1874, von L. von Hirschfeld, Berlin. 1875.