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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/710

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Garantie comme elle l’est contre tout danger prochain et par ses armées, et par ses amitiés, et par la ligue des empereurs, et par les dispositions de l’Europe aussi bien que par celles de la France, que faut-il penser des inquiétudes qu’a manifestées récemment l’Allemagne ? comme l’a dit le Times, tout est mystérieux dans cette mystérieuse histoire. L’Europe a-t-elle été vraiment en proie à l’une de ces paniques que rien ne justifie et qui se produisent aussi bien dans les cabinets des diplomates que dans la mêlée des champs de bataille ? On se défend à Berlin d’avoir fourni le moindre prétexte à cette pénible émotion dont le monde des affaires s’est cruellement ressenti. Les journaux qui avaient annoncé des complications, prophétisé des malheurs, avancé avec persistance que le gouvernement allemand voyait un danger dans la loi française des cadres et presque un casus belli, soutiennent aujourd’hui qu’on s’est trompé sur leurs intentions, qu’on a pris pour des croassemens de corbeaux d’amoureux roucoulemens de tourterelles. Ils nient que la chancellerie allemande ait adressé à ses agens diplomatiques une circulaire destinée à leur faire connaître ses appréhensions et ses griefs. Ils nient que pendant les quelques jours qu’il a passés sur les bords de la Sprée l’empereur de Russie ait dû s’employer à dissiper des ombrages, à calmer des esprits échauffés. Ils affirment que l’empereur Alexandre n’a rencontré partout à Berlin que des fronts sereins et des regards pacifiques, qu’il a pu constater dès son arrivée l’inanité des craintes qu’on lui avait inspirées, et qu’il n’a eu garde de prêcher des convertis. Tout cela est peut-être vrai ; mais il est également vrai qu’un personnage qui tient une place importante dans l’office extérieur de l’empire germanique avait eu un jour avec l’ambassadeur de France un entretien fort significatif et fort imprévu, lequel ressemblait à un avertissement, presqu’à une menace. Ne se pourrait-il pas que le gouvernement français, ému par les rapports de son ambassadeur, les eût communiqués confidentiellement à l’Europe, lui eût témoigné par l’entremise de ses agens les inquiétudes réelles que lui causaient les fausses inquiétudes qu’on affectait d’éprouver à Berlin ? Ne se pourrait-il pas que ces communications, sympathiquement accueillies à Rome, froidement écoutées à Vienne, eussent paru graves aux cabinets de Saint-Pétersbourg et de Londres, qu’elles eussent motivé le voyage à Berlin de l’ambassadeur de Russie en Angleterre, le comte Schouvalof, et la décision prise par le foreign office de demander au gouvernement allemand des explications, qui ont été satisfaisantes ? Nous ne doutons pas qu’en arrivant à Berlin l’empereur Alexandre ne sût d’avance les dispositions qu’il y trouverait ; il s’était arrangé pour que la paix de l’Europe ne dépendît pas des hasards de la conversation qu’il allait avoir avec son oncle. Est-ce une raison pour prétendre qu’on a fait beaucoup de bruit pour rien ? On a fait du bruit, mais en vérité il y avait quelque chose.