dès lors le cri unanime, le siboleth de toute foi politique dans le vaste empire du nord, et l’est demeurée jusqu’à nos jours…
Il importe de bien insister sur ce sentiment né en Russie à la suite du conflit oriental et d’en discuter les fondemens légitimes, car ce sentiment a en des effets incalculables. Il a contribué pour beaucoup aux catastrophes récentes ; il a dicté plus d’une résolution extrême au cabinet de Saint-Pétersbourg ; il lui a fait abandonner des traditions séculaires, des principes qui étaient consacrés par l’expérience des générations, qui semblaient immuables, devenus en quelque sorte les arcana imperii des descendans de Pierre le Grand : il a dominé, pour tout dire, la politique générale du successeur de Nesselrode pendant les vingt dernières années…
Assurément la Russie, avait le droit de compter sur la reconnaissance de l’Autriche après le service signalé et incontestable qu’elle lui avait rendu en 1849. Les armées que le tsar envoya alors au secours de l’empire chancelant des Habsbourg contribuèrent puissamment à y étouffer une insurrection funeste, menaçante, et s’il est vrai que pour obtenir ce secours il a suffi de rappeler au tsar Nicolas une parole jadis donnée dans un moment d’effusion intime, l’action n’en devient que plus méritoire, et fait d’autant plus honneur au cœur de l’autocrate[1]. Il serait malaisé de nier que cette intervention en Hongrie n’eût un caractère généreux et chevaleresque fait pour étonner les contemporains et pour confondre les habiles. Les habiles, les hommes d’état qui, à cette époque si troublée de l’Europe, avaient encore gardé assez d’esprit libre pour jeter un coup d’œil du côté du Danube, lord Palmerston entre autres, demeurèrent longtemps incrédules, et s’ingénièrent à deviner le salaire stipulé pour l’aide prêtée. Le tsar ne retiendrait-il pas la Galicie comme récompense de son concours ? ne se ménagerait-il pas
- ↑ Un écrivain en position d’être bien informé, un ancien sous-secrétaire d’état dans le ministère du prince Schwarzenberg, raconte ainsi l’origine de l’intervention russe en Hongrie, en la faisant remonter à 1833, à la célèbre entrevue de Munchengraetz entre l’empereur François Ier d’Autriche et le tsar Nicolas. Dans une des conversations intimes d’alors, François parla avec tristesse et appréhension de l’état maladif et nerveux de son fils et successeur désigné, et pria le tsar de conserver à ce fils l’amitié qu’il a toujours eue pour le père. « Nicolas tomba à genoux, et, élevant sa droite au ciel, il jura de donner an successeur de François tout aide et secours dont il pourrait jamais avoir besoin. Le vieil empereur d’Autriche en fut profondément touché, et posa ses mains sur la tête du tsar agenouillé en signe de bénédiction. » La scène étrange n’eut pas de témoins, mais les deux souverains la racontèrent quelques momens après, chacun de son côté, à un officier supérieur qui commandait alors la division d’armée stationnée à Munchengraetz. Cet officier supérieur n’était autre que le prince de Windischgraetz, qui, nommé plus tard, en 1848, généralissime des armées d’Autriche, et parvenu au moment critique de l’insurrection hongroise, prit sur lui de rappeler à l’empereur Nicolas, dans une lettre, la parole donnée jadis à Munchengraetz. Le tsar répondit en mettant toute son armée à la disposition de sa majesté impériale et apostolique. — Cf. Hefter, Geschichte OEsterreichs, Prague, 1869, t. Ier, p. 68-69.