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de Bismarck, Berlin 1774 ; c’était à sa femme défunte que le capitaine de cavalerie en retraite a cru devoir élever ce mausolée de paroles et de rimes welches, pleines de la fade sentimentalité du temps. L’aventurier (Ludolf-Auguste) justifie mieux son nom. Il tua son domestique dans un accès de colère ou d’ivresse, fut gracié, prit du service en Russie, se mêla d’intrigues politiques en Courlande, et dut aller en exil en Sibérie. Gracié de nouveau, il entra dans la diplomatie russe, remplit plusieurs missions, et mourut général-commandant à Poltava. Disons en passant que ce Ludolf ne fut pas le seul de sa famille à servir sous les drapeaux russes, et que le nom de Bismarck se trouvait ainsi être de longtemps bien noté à Saint-Pétersbourg.

Les biographes whigs insistent beaucoup sur ce point, que la mère du jeune Otto, « femme intelligente, ambitieuse et quelque peu froide, » a été une bourgeoise, une demoiselle Menken, d’une famille de savans bien connus à Leipzig. Ils aiment à établir de la sorte que le restaurateur de l’empire relève par sa mère de la bourgeoisie, de cette bourgeoisie studieuse et lettrée qui est la grande force de l’Allemagne, — tout en tenant à la noblesse et à l’armée par son père, capitaine de cavalerie en retraite, comme le grand-père le poète. Ces profonds Germains ont un faible, on le sait, pour tout symbolisme ; ils décorent même très souvent de ce nom ce qui n’est qu’un jeu d’esprit, voire un jeu de mots, et c’est ainsi qu’ils attachent une certaine signification à la futile circonstance que le jeune Otto a été confirmé[1] à Berlin par les mains de Schleiermacher, le célèbre docteur en divinité, dont la science était beaucoup plus respectable que la vie : « de la sorte et pour un moment fugitif, il est vrai, mais solennel, le jeune homme appelé à une vie d’action par excellence fut mis en contact avec notre théologie savante et notre philosophie romantique. » On n’a pas manqué non plus de relever le nom de « Cloître-Gris » (Grauer Kloster) que portait à Berlin le lycée où lit ses études le futur destructeur des couvens, ainsi que de noter l’origine française d’un de ses principaux professeurs, le docteur Bonnet, descendant d’une famille huguenote réfugiée dans le Brandebourg à la suite de la révocation de l’édit de Nantes.

Après avoir fini ses études au lycée du Cloître-Gris, Otto de Bismarck se rendit à l’université de Gœttingue, à la célèbre Georgia Augusta, pour y faire son droit. En réalité, il ne fit qu’y mener la vie des fils de la muse qui ont le bonheur ou le malheur d’être en même temps des fils de famille, des cavalière ; il ne cultiva que la chasse, l’équitation, la natation, la gymnastique et l’escrime. Il

  1. Cérémonie religieuse qui, dans l’église protestante, répond en quelque sorte à ce que la première communion représente dans l’église catholique.