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eut plus de vingt duels et justifia pleinement le nom glorieux de bursche, qui devait lui rester encore longtemps, alors même qu’il fut ambassadeur et ministre. On comprend aisément que les Institutes et les Pandectes n’ont pu être beaucoup approfondis au milieu de tant d’exercices corporels, et l’essai même d’échanger la bruyante Georgia Augusta contre l’université plus posée et reposante de Berlin se trouva être un remède plus héroïque qu’efficace. M. de Bismarck a-t-il jamais passé d’une manière régulière cet « examen d’état » (staats-examen) qui en Prusse est la condition indispensable de toute fonction publique ? Grave question, qui fut longtemps débattue en Allemagne, et dont on s’est fait une arme pendant vingt ans contre l’homme de parti, le député, l’ambassadeur, le président du conseil. Fait digne de remarque et qui caractérise bien l’esprit formaliste et réglementaire de la nation : M. de Bismarck avait déjà défié toute l’Europe et démembré la monarchie danoise, que, dans les journaux de l’opposition en Allemagne, partaient encore de temps en temps, comme des fusées attardées, des allusions malignes à cet examen d’état demeuré problématique ! Ce n’est que depuis l’époque de Sadowa que cessèrent définitivement ces méchancetés déplacées : Sadowa fit passer bien d’autres irrégularités encore, et de beaucoup plus graves assurément.

C’est peut-être le lieu de se demander quels fruits M. de Bismarck a recueillis de sa vie scolaire et d’apprécier, ne fût-ce que sommairement, la culture et le genre de son esprit. Il paraît certain que M. de Bismarck n’est point un homme de science et d’étude, et que son éducation libérale présente plus d’une lacune. Contraste plaisant, des deux chanceliers, russe et allemand, dont l’un n’a connu qu’un lycée d’une valeur très discutable, tandis que l’autre a fréquenté le gymnase et l’alma mater les plus renommés de la docte Germanie, c’est bien l’élève de Tsarskoë-Sélò qui, en fait de connaissances classiques et de vrais humaniora, pourrait rendre des points à l’heureux nourrisson de la Georgia Augusta. Toutefois il est bon de faire observer que M. de Bismarck remplit et au-delà certain programme posé un jour par le spirituel et regretté Saint-Marc Girardin aux hommes du monde bien élevés. « Je ne demande pas, disait-il, qu’ils sachent le latin, je demande seulement qu’ils l’aient oublié. » De sa jeunesse scolaire, il est resté toujours au chancelier d’Allemagne un fonds de culture qu’il sait bien faire valoir à l’occasion, et il possède à un degré très suffisant sa Bible, son Shakspeare, son Goethe et son Schiller, ces quatre élémens de toute éducation même très ordinaire dans les pays allemands, — précieux et enviable quadrivium des enfans d’Arminius ! Le prince Gortchakof a les raffinemens ainsi que les faiblesses de l’homme de lettres ; il soigne son « mot, » il châtie sa phrase, il se mire et