emporté un bagage littéraire qui, sans être ni trop lourd ni trop complet, lui a cependant permis de faire son tour du monde politique avec aisance et honneur. Dès cette époque également, son esprit révèle les qualités précieuses qui le distinguent encore : une imagination vive et puissante, un rare bonheur d’expressions parfois grandioses, parfois vulgaires, mais toujours frappantes ; enfin un humour qui n’a point de pareil et qui, pour parler avec Jean-Paul, est un vrai sirocco pour l’âme. Avec tout cela, point de grâce, point de charme, de distinction ni de délicatesse, — aucun accent généreux, aucune corde douce et sympathique, absence complète de ce milk of human kindness dont parle le poète, manque absolu de cette charité qui, selon le grand moraliste chrétien, est comme le parfum céleste de l’âme. Quant à l’art ou plutôt au métier, quant au travail qui consiste à coordonner ses phrases, à les lier et les agencer, à introduire de l’harmonie et de la clarté dans les différentes parties du discours, à en effacer les aspérités et les inégalités, quant au style en un mot, M. de Bismarck ne l’a jamais appris ou l’a toujours dédaigné. Si nous osions appliquer à ce style une de ces images triviales, mais expressives, dont il nous offre lui-même plus d’un exemple, nous le comparerions volontiers à certaine boisson bizarre, à peine croyable, et que, d’après le dire de ses biographes, le chancelier d’Allemagne a de tout temps affectionnée : elle consiste dans un mélange de vin de Champagne et de porter ! Le langage est à l’instar du breuvage : on lui trouve le piquant, le pétillant, l’émoustillant de l’ai en même temps que la lourdeur, la noirceur et surtout l’amertume du stout.
Chose curieuse, l’homme qui devait un jour imposer à tous les états de la Germanie les durs règlemens bureaucratiques et militaires de la Prusse, « mettre l’Allemagne en selle, » pour employer un de ses mots, la serrer dans l’étroite camisole du service obligatoire, — indirectement même dresser toute l’Europe à de nouveaux exercices et lui faire quitter la charrue pour l’épée, les occupations libérales pour les manœuvres d’automne et d’été, — cet homme n’a, pour son compte, jamais pu s’astreindre aux devoirs scolaires, : ni au travail régulier du bureau, ni à la sévère discipline du soldat. Il a affirmé lui-même quelque part n’avoir entendu que deux heures de cours pendant tout son séjour à la Georgia Augusta. Le stage universitaire terminé, il essaya à plusieurs reprises la carrière administrative ou judiciaire ; il l’essaya à Aix-la-Chapelle, à Potsdam, à Greifswalde, puis de nouveau à Potsdam, et dut chaque fois y renoncer, dégoûté par le travail monotone du bureau ou parades démêlés avec ses supérieurs. On raconte à cet égard la piquante réponse du jeune referendarius à un chef qui lui avait fait faire antichambre pendant une heure : « j’étais venu pour vous demander