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Manteuffel, dont l’esprit froid et bureaucratique ne sympathisait au fond que très médiocrement avec les ultras, jugea cependant utile de fortifier le gouvernement en leur faisant quelques avances. Plusieurs postes éminens dans le service civil furent confiés aux membres de l’extrême droite : M. de Kleist-Retzow entre autres eut la présidence des provinces rhénanes. On ne pouvait guère songer à utiliser de la même manière les talens de l’ancien referendarius de Potsdam et de Greifswalde, qui avait montré si peu de dispositions et de goût pour la carrière administrative : par des considérations déjà indiquées, on imagina de l’envoyer à Francfort comme premier secrétaire de légation d’abord, mais avec l’assurance d’être nommé au bout de quelque temps représentant en titre. Le choix ne laissa pas de causer une certaine surprise : c’était un procédé tout nouveau (on s’y est habitué depuis, et ailleurs) que de récompenser un député par une mission diplomatique de son attitude ou de son vote à la chambre. On se demandait du reste si l’excentrique et impétueux chevalier de la Marche pouvait bien passer pour the right man in the right place au milieu de circonstances tellement délicates. Le timide et méticuleux M. de Manteuffel n’était pas sans appréhension à cet égard, et l’empressement même avec lequel M. de Bismarck acceptait la place ne faisait qu’augmenter le malaise du président du conseil. Le roi Frédéric-Guillaume IV, qui personnellement goûtait beaucoup le bouillant « Percy » du parti de la croix, n’en eut pas moins, lui aussi, des hésitations. « Votre majesté peut toujours faire l’essai avec moi, lui dit l’aspirant à la diplomatie ; si cela n’allait pas, votre majesté serait bien libre de me rappeler au bout de six mois ou même avant. »

Il ne devait être rappelé qu’au bout de huit ans, par le successeur de Frédéric-Guillaume IV. Et pourtant, dès les premiers jours de sa mission (juin 1851), il s’exprimait ainsi dans une lettre intime sur le compte des hommes et des choses qu’il était chargé de manier : « Nos relations ici consistent dans une méfiance et un espionnage mutuels. Si du moins on avait quelque chose à espionner ou à cacher ! mais ce sont de pures fadaises pour lesquelles ces gens se tourmentent l’esprit. Ces diplomates qui débitent d’un air d’importance leur bric-à-brac me semblent dès à présent beaucoup plus ridicules que tel député de la seconde chambre se drapant dans le sentiment de sa dignité. S’il ne survient des événemens extérieurs, je sais dès aujourd’hui sur le bout du doigt ce que nous aurons fait dans deux, trois ou cinq ans, et ce que nous pourrions expédier en vingt-quatre heures, si nous voulions être sincères et raisonnables un jour durant. Je n’ai jamais douté que tous ces messieurs ne fissent leur cuisine à l’eau ; mais un potage si aqueux et si fade qu’il est impossible d’y trouver un œil de graisse ne laisse