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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/810

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deux notes plus prolongées, sur la quarte ou la quinte ; l’autre membre est, à proprement parler, la phrase musicale : il est plus développé, le chanteur se plaisant à le moduler et à lui imprimer le caractère mélancolique qui domine dans toute cette mélodie. Quelquefois le sentiment d’angoisse ou de tristesse, devenant tout à coup plus aigu, se traduit par un cri, un sanglot, en dehors de toute gamme. On conçoit qu’une musique si libre, qui s’attache avant tout à suivre et à exprimer tous les mouvemens de la passion, ne se laisse pas assujettir à un rhythme. Le chanteur reste absolument maître de sa mesure. Quant à l’accompagnement du chant, la ritournelle qui reprend après chaque vers, ils reproduisent, à peu de chose près, la même phrase que le chant. De toutes ces particularités il résulte une mélodie très originale, toute particulière à la Petite-Russie ; un auditeur doué du sens musical distinguera du premier coup un air ukrainien d’un air de la Grande-Russie.

Outre les doumas, Ostap Vérésaï sait aussi des cantiques spirituels sur l’enfant prodigué, le grand saint Nicolas, le jugement dernier. Il sait des couplets satiriques d’un genre assez libre, comme la Femme de hussard. Le Petit-Russien est jovial par momens : à ses accès de mélancolie succèdent aisément des accès de gaîté ; quand Ostap chante une de ces facéties, il faut le voir se trémousser, se dandiner de droite à gauche, et tirer de son gosier comme de sa kobza les notes les plus bizarres. Même s’il s’agit d’un air à danser, il se lève et se démène en cadence ; on le prendrait pour un jeune cosaque à le voir plier alternativement ses jarrets et lancer en avant ses lourds talons comme dans une bourrée auvergnate. Cependant ce sont les chansons historiques qui ont toutes ses préférences : telles sont l’histoire des trois frères qui s’enfuirent des prisons turques d’Azof, de la veuve qui est chassée de sa maison par ses fils, de Féodor Bezrodni, le brave compagnon qui expire de ses blessures dans le désert, mais surtout la tempête de la Mer-Noire. Et vraiment la chanson héroïque va mieux à son talent, à son air grave, à sa grande barbe, à son infirmité presque auguste. C’est la science de ces nobles ballades qui le relève à ses propres yeux. Il les a apprises de ses maîtres, qui eux-mêmes les tiennent de leurs devanciers, et de kobzar en kobzar elles remontent dans les siècles lointains. Il ne doute pas que l’origine n’en soit divine. Il a souvent disputé à ce propos avec le pope de son village, qui apparemment les enveloppait dans la commune réprobation formulée par l’église grecque contre les « jeux et chansons diaboliques. » Un vieux cosaque osa un jour les attaquer en sa présence et soutenir qu’elles étaient une invention des hommes : c’était perdre son temps que de les écouter. « Quand j’entendis ces paroles, raconte Ostap, je sentis mon cœur bouillonner de courroux. Je crois que je l’aurais