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Tatars sous les murs d’Otchakof, et d’une seule razzia leur enleva 30,000 têtes de bétail, — de Svertchovski, le conquérant de la Valachie, — de Zborovski, le noble polonais qui franchit les porogs au péril de sa vie, parmi les rapides et les brisans, fit oublier son blason à force de bravoure, livra bataille aux galères musulmanes avec de simples pirogues, combattit les troupes de débarquement en se servant de bauges de sangliers sauvages comme de trous ou d’abris de tirailleurs, pensa être englouti dans une tempête sur la Mer-Noire et manqua de périr de faim dans les steppes désertes. Il n’échappa à tant de dangers que pour être décapité par ordre de Batory, roi de Pologne, comme coupable d’avoir rompu la paix avec les Turcs. Les kobzars ont cassé l’arrêt des juges royaux et le glorifient comme un héros et un martyr. Ils célèbrent encore son compagnon, Alexis Popovitch, qui se dévoua pour apaiser la tempête et fit la confession publique de ses péchés. Les cosaques furent obligés de lier les mains de cette victime volontaire et de lui bander les yeux avec le ruban de velours noir ; mais ils ne purent se décider à sacrifier un si brave criminel : ils le piquèrent à un doigt de la main gauche et firent couler quelques gouttes de son sang sur les vagues furieuses ; celles-ci, à l’instant même, s’aplanirent et poussèrent les vaisseaux jusqu’au rivage.

Pour se rendre compte de ce que peut devenir dans l’imagination des poètes un événement historique, suivons les transformations qu’a subies l’histoire du prince Dmitri Vichnévetski. C’est lui qui fonda la forteresse de Khortitsa sur une des îles du Dnieper et qui dirigea la grande expédition de Valachie en 1564. Tombé au pouvoir des Turcs, il fut emmené à Constantinople. On dit que le sultan Sélirn essaya de le convertir à l’islamisme : le fait est d’autant plus vraisemblable que Dmitri en 1553 avait voulu abandonner le service du roi de Pologne pour celui du padischah. Mais, comme il refusait d’abjurer, il fut condamné à mort. On le précipita du haut d’une tour sur des crochets de fer auxquels il resta suspendu par une côte. Ce genre de supplice a été plusieurs fois employé par les Turcs contre les cosaques, notamment par Osman II ; mais la légende, qui commence déjà dans la chronique latine de Temberski, raconte que Dmitri vécut deux jours dans cette position, louant Dieu, insultant le prophète, et que, tirant des flèches de son carquois, il abattait les Turcs qui osaient approcher de lui : au moment de mourir, il faillit transpercer le sultan, qui était venu récréer sa vue de ses souffrances. Sagittam in tyranni personam direxit, sed jam viribus vacillantibus. Cette chronique, publiée en 1669, semble s’inspirer des mêmes traditions populaires que la douma petite-russienne intitulée Baïda : Baïda était, paraît-il le nom de guerre du malheureux prince. « A Constantinople sur le marché, Baïda