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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/846

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mains de ceux qui ont rempli ma vie d’amertume. Je ne veux pas non plus qu’une nuée de neveux ou de cousins viennent s’abattre sur ma fortune comme des corbeaux et réduisent en miettes ce que mes parens et moi nous avons amassé à force d’ordre, d’économie et de bonne gestion. J’ai donc résolu d’instituer l’un d’eux mon unique héritier, et ce sera vous : d’abord parce que votre grand’mère maternelle est celle de mes sœurs qui m’a causé le moins de chagrin. Elle épousa un homme de son rang, dans une bonne position, avec l’assentiment de ses parens, et ce n’est pas sa faute si son mari est mort lors de cette affreuse révolution belge, laissant sept filles dont une fut votre mère, mais qui ne se soucia pas plus que les autres de sa tante Sophie. Je dois toutefois l’excuser parce que, à l’époque de son retour en Hollande, les fatales discordes dont j’ai parlé m’avaient déjà fait prendre la résolution de rompre avec tous les miens. — Ma seconde raison, c’est que j’ai bonne opinion de votre caractère et de votre indépendance. Mes informations sont de telle sorte que je vous tiens pour celui qui pourra le plus convenablement réaliser un vœu que je forme en vous priant très instamment de l’accomplir, si cela vous est possible, c’est-à-dire que vous épousiez la petite-fille de ma sœur aînée, la seule de ses petits enfans qui soit encore en vie, et que vous lui donniez de cette manière la part d’héritage que, pour les raisons susdites, je dois lui refuser en ce moment. J’avais voulu prendre cette jeune fille chez moi, quand elle était encore toute petite, pour lui donner une bonne éducation et la soustraire à l’atmosphère de corps de garde où elle a été élevée ; mais cela me fut refusé, et son grand-père, le général von Zweiiken, a perdu la fortune future de sa petite-fille en ne voulant pas m’accorder cette satisfaction. En y réfléchissant, je n’ai pas voulu punir cette enfant pour les fautes de ses grands-parens. Je désire au contraire qu’après ma mort elle sache que la vieille grand’tante Sophie n’était pas aussi méchante qu’on le lui a dit, et qu’elle a pensé à faire aussi son bonheur. Lui donner directement une partie de ma fortune, ce serait la donner à son grand-père, qui la gaspillerait certainement de la même manière qu’il a mangé l’avoir de ma sœur. Voilà pourquoi, mon neveu, j’ai voulu vous faire unique propriétaire de mes biens. Vous êtes un jeune homme de caractère et de bons principes, vous inclinerez à réparer un tort que je suis forcée de commettre. Peut-être les difficultés viendront-elles du côté où l’on aurait le plus de motifs d’accepter cet arrangement : dans ce cas, ne lâchez prise qu’à la dernière extrémité. Si au contraire les obstacles viennent de votre côté, si vous trouviez insupportable cette prétention de votre vieille tante, qui veut vous imposer une femme, et une femme qui pourrait ne pas vous plaire, je vous relève d’avance de cette obligation. S’il en doit