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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/845

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LE MAJOR FRANS

L’avocat examina tous les documens l’un après l’autre, et, après une revue attentive, déclara que tout était dans l’ordre le plus parfait. — Mais, dit-il, je ne vois nulle part inscrite la clause fatale qui, selon ce que vous m’avez écrit, pourrait influer sur votre acceptation.

— En effet, il n’y a pas de clause, il n’y a même aucune condition exprimée, mais il y a un désir, un vœu de la grand’tante, contenu dans cette lettre qu’il vous faut lire avant de me dire votre opinion. Pour moi, il me semble que je dois renoncer à l’héritage, si je ne puis satisfaire à ce désir.

— Serait-il donc si difficile d’y satisfaire ?

— Cela dépend. Ma grand’tante désire que je me marie.

— Eh bien ! n’avez-vous pas de quoi monter votre ménage ?

— Sans doute ; mais elle me désigne en même temps celle que je dois épouser.

— Diantre ! voilà le pire.

— Assurément, car elle ne semble pas même connaître la demoiselle. Ce doit être la petite-fille d’un certain général von Zwenken, qui épousa jadis la sœur aînée de ladite grand’tante. Elle demeure chez son grand-père, et il paraît que c’est surtout par rancune contre ce dernier que la grand’tante Roselaer a testé comme elle a fait. C’est moi qui hérite de la fortune afin de l’offrir à la belle petite-nièce. Rien de plus simple, dira-t-on ; cependant supposez que la belle petite nièce soit laide, ou bossue, ou acariâtre, ou coquette, vous me connaissez assez pour savoir que je m’empresserais de renoncer à l’héritage.

— Renoncer, renoncer… Au pis-aller on pourrait offrir le partage.

— Voilà précisément ce qui serait contraire à la volonté formelle de la défunte. Lisez et vous verrez.

L’avocat lut alors avec un redoublement d’attention l’écrit que lui tendit Léopold, et qui était ainsi conçu :

« Mon très cher neveu, je suis pour vous une inconnue, vous n’êtes pas un inconnu pour moi. Je suis assez bien renseignée sur ce que vous êtes et ce que vous n’êtes pas. Grâce à toute sorte de brouilles dans notre famille et aux inconséquences de ma sœur aînée, j’ai dû passer ma vie et je mourrai dans l’isolement. Mes parens les plus proches sont morts depuis des années, les autres sont dispersés et se souviennent à peine que je suis leur parente. Personne ne se soucie de la vieille tante Roselaer, qui, il est vrai, n’a jamais voulu rien faire pour leur rafraîchir la mémoire. J’ai maintenant soixante-quinze ans, et une attaque récente m’a avertie que je devais mettre ordre à mes affaires, si je ne voulais pas qu’il y eût des disputes à propos de ma succession, et surtout que celle-ci tombât dans les