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Indiens moxos de la Bolivie, pour entreprendre avec succès la pénible remonte de l’affluent. Rien de fatigant et de monotone tout à la fois comme ces interminables étapes à l’aviron sur le cours inférieur du Madeira, c’est-à-dire sur une étendue de 800 kilomètres ; la contrée offre partout l’aspect de grandiose uniformité qui est propre à ces immenses vallées plates où la rive est faite d’alluvion. Pas la moindre colline ne rompt la ligne découpée à l’horizon par la sombre muraille de la forêt vierge ; pas un bruit, sur terre ou sur l’eau, ne trouble le silence obstiné de la nature. Le premier endroit habité que l’on rencontre, à 25 lieues en amont, c’est Borba, jadis Santo-Antonio de Araretama. Malgré son titre pompeux de « villa, » ce n’est autre chose qu’un assemblage d’une douzaine de huttes misérables autour d’une chapelle primitive et inachevée. Fondé par les jésuites vers le milieu du siècle dernier, cet établissement fut un centre de mission parmi les Indiens Barès et Toras ; il eut beaucoup à souffrir dans les premiers temps des attaques des sauvages Araras. Viennent ensuite Sapucaia-Oroca et Crato ; à partir de là jusqu’à Exaltacion, en Bolivie, et jusqu’à Forte-do-Principe-da-Beira, dans Matto-Grosso, on ne trouve pas une localité qui mérite ce nom, ce qui n’empêche pas certaines cartes anciennes ou modernes de multiplier magiquement les centres de population dans ces contrées solitaires. La vallée du Bas-Madeira, vu l’accès plus facile des rivages, est, il est vrai, un peu plus peuplée que la région supérieure, visitée seulement par quelques hordes d’Indiens sauvages ; encore fait-on souvent sur l’énorme rivière plusieurs journées de marche sans même apercevoir une hutte aérienne de seringueiro perdue parmi les bouquets de siphonias.

La navigabilité du fleuve, dans cette première partie de son cours, n’offre pas une aisance parfaite ; il y a au-dessous même de la vaste zone des cataractes et des rapides un certain nombre de petits obstacles ; il suffira toutefois de faire sauter quelques roches et de creuser un peu le canal pour rectifier complètement la route. Au-delà d’une longue île de sable où des milliers de tortues viennent chaque année déposer leurs œufs, se montrent, par le 8° 50’ de latitude méridionale, les premiers récifs du Haut-Madeira, ceux qui donnent naissance au rapide de Santo-Antonio. De chaque côté d’un vaste banc qui partage la rivière en deux bras inégaux se dressent d’immenses blocs de roches métamorphiques, d’une espèce de gneiss ; à voir ces stratifications verticales, qui présentent toute sorte de dentelures bizarres, on dirait d’une mer dont les vagues se sont tout à coup immobilisées et raidies. En cet endroit, qui est à 901 kilomètres du confluent, s’impose pour la première fois le débardage des embarcations. Celles-ci doivent filer à vide dans l’étroit canal qui longe la rive droite, tandis que le chargement est transporté par terre, sur