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III

Il serait peut-être naturel qu’après avoir esquissé l’histoire et montré l’organisation de la realschule allemande, nous fissions un retour vers la France pour voir ce qui’y correspond chez nous ; mais une telle étude nous entraînerait trop loin. Nous pouvons nous en dispenser d’autant mieux que ce sujet a été traité l’an dernier avec plus de compétence[1]. J’indiquerai seulement comment le problème, par suite des circonstances, a été autrement posé en France qu’en Allemagne, et j’essaierai de résumer les leçons que nous devons tirer pour l’avenir de cette comparaison entre les deux pays.

Avec sa bourgeoisie intelligente et riche, la France, commerçante et industrielle comme elle l’est depuis longtemps, a dû sentir de bonne heure, ce semble, le besoin d’un enseignement pratique. On a souvent cité à cet égard Montaigne, Rabelais, qui raillent les latineurs de collège. « C’est un bel et grand agencement sans doute que le grec et le latin, dit l’auteur des Essais, mais on l’achète trop cher… Ce grand monde, que les uns multiplient encore comme espèces sous un genre, c’est le miroir où il nous faut regarder pour nous connaître de bon biais. Somme, je veux que ce soit le livre de mon écolier. » Mais il faut prendre garde de tomber dans une confusion. Il y a ici autre chose qu’une question didactique. Le point capital, c’est de savoir si l’on songe à appeler aux bienfaits de l’instruction les parties de la population jusqu’où elle n’a pas l’habitude de descendre. Dès qu’on prend la question de ce côté, il faut bien convenir que les noms de ces écrivains ne sont pas ici tout à fait à leur place. On ne saurait leur reprocher de n’avoir pas devancé leur temps ; mais il est certain qu’ils ont en vue l’instruction du petit nombre. Montaigne fait l’éducation d’un gentilhomme et Rabelais celle d’un prince.

Sans remonter si haut, il semble que dans le même temps où cet enseignement s’est fondé en Allemagne, c’est-à-dire au milieu du XVIIIe siècle, il aurait dû commencer aussi en France. Les conjonctures étaient favorables. En 1763, après la publication de l’Emile, après l’expulsion des jésuites, les questions d’éducation excitaient l’intérêt général et donnaient lieu à de nombreux projets. Les parlemens semblèrent vouloir prendre la direction de ce mouvement. Le président du parlement de Paris, Rolland d’Erceville, en divers écrits, faisait la critique des collèges, et présentait les plans d’une sorte d’université polytechnique qui selon lui devait les remplacer.

  1. Baudrillart, la Famille et l’éducation en France.